L'individuation

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kesiaa
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L'individuation

Message par kesiaa »

Et si on traitait la souffrance comme une phobie d’individuation ?
Quelques cas cliniques présentés par Adeline Gardinier psychologue clinicienne et psychothérapeute

Annie
Pour exemple, Annie avait été une "enfant" docile pendant 45 ans. Elle développait, aujourd’hui, des crises d’angoisses chaque fois qu’elle s’initiait à exprimer son avis auprès de sa mère. Cette nouvelle dynamique relationnelle suscitait, en effet, bien des peurs incontrôlables. Pourtant, l’étouffement de son être l’avait obligé à se révolter.

Toutefois, chaque minime refus, chaque mécontentement et liberté prise à l’endroit de sa mère engendraient des somatisations signifiantes. Le symptôme dénonçait la phobie d’individuation sous-jacente. Sa mère l’avait surinvesti en raison d’une histoire à ses propres parents complexes. Elle avait, en effet, dû répondre à des codes familiaux chaotiques durant son enfance. Dans la négligence et l’hyper-responsabilisation de ses jeunes années, l’histoire systémique avait résonné.

Annie, sa fille, jouait un rôle de substitut affectif prégnant auprès d’elle. Le trouble révélait encore l’enchevêtrement d’Annie à une problématique groupale non résolue.

La souffrante ne parvenait pas à s’autonomiser psychiquement d’une mère carencée. Ce manque d’affirmation était devenu de plus en plus consistant au fil des années. Son démantèlement ne pouvait alors s’opérer que dans un bruit symptomatique signifiant.

La sévérité du trouble indiquait la rigidité des anciens codes de soumission. Elle traduisait ainsi les forces de résistances consistantes s’opposant à ce mouvement de transformation.

A partir du moment où le symptôme apparaît, il peut en être déduit que la charge d’inadaptation est importante. En effet, par définition, un symptôme condense en son cœur une forte tension.  Là où il y a symptôme, il y a donc rigidité manifeste. Dans cette optique, il est pertinent de traiter le problème en prenant en compte sa composante phobique. Plus schématiquement, on pourrait dire que derrière un symptôme se cache systématiquement une phobie psychique.

Jeanne
Jeanne souffrait d’une dépression signifiante depuis quelques mois. Elle présentait des vertiges, des angoisses paralysantes et une addiction à l’alcool. Elle s’était séparée, depuis peu, d’un mari violent et pervers. La pathologie était apparue suite à un mouvement d’affirmation nécessaire vis-à-vis de son compagnon.

En effet, son épuisement physique et psychique l’avaient obligée à réagir. Elle avait alors présenté des comportements agressifs et des attaques de panique signifiantes. Chaque expression d’opposition provoquait des résistances internes très handicapantes.

Ainsi,  sa rébellion était maladroite et intense. Le caractère extrême de sa réponse s’expliquait par la dimension non assumée de ce nouveau comportement. Elle insultait, était très hostile et hystérique. Cette attitude désadaptée portait la charge contraignante d’un élan individuation laborieux. Chaque amorce d’expression protectrice et libératrice engendrait  une culpabilité prégnante. Ce mouvement était coûteux car il n’était pas habituel. Il portait l’excès de ce qui n’est pas encore assimilé. 

Cette réalité structurante et paradoxale devait être également intégrée par le corps soignant afin d’offrir le meilleur cadre d’accompagnement. Ainsi, il était question de contenir mais de ne pas censurer ce temps bruyant. C’était un processus naturel dans la dynamique d’avancement. Il fallait également pouvoir proposer à la patiente des hospitalisations, des espaces ressources, en fait, l’aider à s’éloigner entre deux affirmations éprouvantes. 

L’acceptation du caractère chaotique de cette phase évolutive, l’acceptation des régressions, des résistances, des phases de retrait ou de ralentissement sont ainsi les clés essentielles du traitement de la souffrance.

Pour que cette condition existe, l’aidant doit toujours avoir à l’esprit que derrière toute pathologie, il existe une phobie d’individuation.

Cet éclairage est déterminant car il permet de respecter le rythme de résolution d’un symptôme. 


Zoé et le sentiment d’injustice

Zoé, 49 ans, a été hospitalisée à de nombreuses reprises pour recrudescence d’angoisses et d’idées noires. Depuis plus de trente ans, elle entretient une sorte de relation sadomasochiste avec son ex-conjoint, qui l’enferme dans une position indifférenciée très dangereuse. Lors de ses séjours, elle exprime son incapacité à énoncer ses frustrations et ses colères. Elle craint des conséquences catastrophiques si elle ose parler de son ressenti. Zoé a expérimenté, dans cette union conjugale pathogène, les résonances dangereuses de l’expression de soi. Ainsi, lorsqu’elle commence à s’affirmer, au fil d’hospitalisations renarcissisantes, le caractère encore grossier de la démarche attire les plus vives réactions de l’équipe. Zoé est dans des provocations, des refus, des comportements volages, des brusqueries verbales, des sourires ironiques et des oppositions passives irritantes. Ces excès traduisent ses propres résistances à changer. Indirectement, elle teste également le cadre thérapeutique. Pourra-t-il lui démontrer qu’elle est vraiment autorisée à moduler ses rôles et fonctions dans ses divers systèmes d’appartenance ?

Lors d’un entretien avec le psychiatre, Zoé fait une crise de nerfs impressionnante. De lourds sanglots et des raclements aigus l’empêchent de parler. À distance, cette réaction s’explique. Le médecin a demandé à ce que Zoé souffle dans un éthylotest à chaque retour de ses sorties. Cette prescription a été posée suite à de nombreuses irritations des soignants face à ses comportements croissants de désinvolture et d’agressivité. Zoé a confié que cette procédure lui rappelait étrangement l’injustice, l’insécurité et la trahison vécues dans sa relation de couple. Son corps bruyant mimait la détresse à être entravée dans une légitimité d’expression. Son état d’agitation traduisait l’avortement d’un mouvement laborieux d’autonomisation. La crise était née d’une tension à laquelle s’était surajoutée celle provoquée par l’autorité illégitime du médecin. Sa dynamique évolutive avait été court-circuitée brutalement.

La contenance des pulsions hostiles ne doit ainsi pas être confondue avec leur répression. Cet amalgame conduit le patient dans des conflits internes qui découlent des propres dysfonctionnements des soignants. Par ailleurs, l’ancien compagnon de Zoé était, de plus, gendarme ! L’équipe a reproduit, involontairement, le message sadique du mari agresseur : le non droit de choisir sa place dans un système et le devoir de répondre à des ordres groupaux arbitraires.

Léa dans le flou thérapeutique
À 17 ans, Léa est empêtrée dans un fonctionnement limite depuis plus de deux ans et elle entame un travail psychothérapeutique. Les automutilations, les passages à l’acte auto et hétéro agressifs sont réguliers. Ils s’accentuent et l’adolescente se réfugie de plus en plus dans un fonctionnement psychotique. Lors des hospitalisations, des crises anxieuses et agressives se déclarent brutalement. Cependant, si on se penche sur leur origine, les indices d’une entrave thérapeutique au processus d’individuation apparaissent systématiquement. Léa revit avec les soignants la confusion du discours contradictoire de sa famille : autonomise-toi sans t’autonomiser ! D’un côté, l’équipe lui tient un discours rassurant de contenance et d’encouragement à l’émancipation.

D’un autre coté, les actes cliniques traduisent une dynamique contraire. L’insuffisante prise en compte du contexte familial, l’attitude défensive infantilisante des soignants, le renforcement involontaire du discours enfermant des parents par l’équipe donnent ainsi lieu à de nombreuses situations paradoxales. Léa est responsabilisée dans ses décisions personnelles mais dans un même mouvement, des consignes médicales rigides lui sont administrées. Elle est régulièrement assurée du soutien de l’équipe dans sa démarche d’émancipation mais brutalement un ordre de sortie définitif par le médecin est posé sans justification et sans la consulter. Léa réagit à ce flou thérapeutique par l’expression d’une tension intenable et d’une décharge dans des passages à l’acte. Que d’énergies frustrées à être systématiquement rattrapée dans ses élans coûteux d’avancement !

L’adolescence est ainsi une des étapes où un besoin signifiant d’émancipation peut faire éclater, dans des attitudes théâtrales, un modèle de fonctionnement systémique enkysté. Toutefois d’autres événements accidentels ou du cycle de la vie sont susceptibles de venir dénoncer et débrider un processus d’individuation insuffisant. Le comportement désorganisé signe alors la frustration sévère d’une personne à être compromise, par les siens ou le monde soignant, dans un élan personnel méritant.
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kesiaa
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Message par kesiaa »

Définition du mot Individuation
Processus de formation de l’individu psychologique

Dans la psychologie analytique de Jung, l’individuation est le processus de formation naturel de l’individu psychologique comme être distinct de la psychologie collective. La première étape de l’individuation est donc un processus de différenciation qui a pour but de développer la personnalité individuelle. C’est la « réalisation du soi », ou « réalisation de soi-même ». Elle n’a rien à voir avec la « prise de conscience du moi », car le soi (voir « soi supérieur ») dépasse les limites de la psyché individuelle pour inclure l’univers tout entier.

Source : https://www.psychologies.com/Dico-Psycho/Individuation
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Re: L'individuation

Message par kesiaa »

Sophie Peters : la psychologie de l'exploration intérieure

https://www.imagotv.fr/podcasts/radical/26
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Série TV sur arte : en thérapie

De l’intime au collectif
Le concept créé par la série israélienne Betipul, à la fois simple et puissant, a fait ses preuves : un psy qu’on suit en séance, semaine après semaine, dans son cabinet, en relation avec plusieurs patients choisis. Éric Toledano et Olivier Nakache en ont imaginé, avec les productrices Yaël Fogiel et Laetitia Gonzalez, l’adaptation française, lui trouvant un ancrage fort dans le traumatisme collectif des attentats de Paris, en novembre 2015. Même si les histoires personnelles d’Ariane, d’Adel, de Camille, de Léonora et Damien n’y font pas toutes référence, leur ensemble reflète l’image d’une société fragilisée, déboussolée, en quête de nouveaux repères. Ces tranches de vie se dévoilent dans des face-à-face tantôt libres, tantôt tendus, où la parole et l’écoute finissent presque toujours par apaiser. Épaulés par une fine équipe de scénaristes (David Elkaïm et Vincent Poymiro, créateurs d’Ainsi soient-ils) et de réalisateurs (Pierre Salvadori, Nicolas Pariser et Mathieu Vadepied, également directeur artistique), Toledano et Nakache proposent une œuvre collective, dont le cœur repose principalement sur le jeu des comédiens "en séance". On les regarde, on les écoute faire vivre leurs personnages, tous remarquables autour de Frédéric Pierrot, exceptionnel en thérapeute aussi investi que vulnérable.

https://www.arte.tv/fr/videos/089024-00 ... on-1-1-35/
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Re: L'individuation

Message par kesiaa »

Série TV sur arte (saison 2) : en thérapie

Cinq ans après
C’est dans le trauma sociétal causé par les attentats du 13 novembre 2015 qu’Eric Toledano et Olivier Nakache avaient trouvé le fondement de leur adaptation de BeTipul, la série israélienne de Hagai Levi : une manière d’ancrer la fiction dans une réalité vécue collectivement au présent. Une nécessité du même ordre préside à cette nouvelle saison, située dans le contexte encore plus actuel de la pandémie, et précisément datée : au mois de mai 2020, à la sortie du premier confinement. Quel meilleur terreau pour une thérapie que cette période, avec ce qu’elle a impliqué d’introspection et de repli sur soi ? La parole des patients se libère ainsi progressivement face à un Philippe Dayan dont la vie a changé. Confronté à des difficultés personnelles et professionnelles, le thérapeute cherche lui aussi des repères, et Frédéric Pierrot apporte à ce personnage une nouvelle épaisseur. Sous les regards attentifs des deux maîtres d’œuvre, entourés par les réalisateurs Agnès Jaoui, Arnaud Desplechin, Emmanuelle Bercot et Emmanuel Finkiel, les comédiens déploient avec une grande justesse toute la palette des émotions.

https://www.arte.tv/fr/videos/102958-00 ... on-2-1-35/
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Re: L'individuation

Message par kesiaa »

Qu'est-ce que le bonheur ?

"Quelle définition psychologique du bonheur proposer, suffisamment dégagée des considérations philosophiques, morales et religieuses, spéculatives et abstraites ?
Le bonheur ne se situe pas dans la réalité extérieure. Il ne se réduit pas à la satisfaction de ses vœux, désirs et besoins en l'absence de tout décalage entre la réalité et son idéal. Il ne suffit pas d'avoir tout, richesse, beauté, jeunesse et santé, pour se donner le droit d'être heureux, si l'on n'est pas soi. Enfin, le bonheur ne renvoie à aucun manque réel, de quelque chose ou de quelqu'un, ni a une quelconque méconnaissance qu'il serait possible de pallier concrètement grâce à des recettes, exercices, savoir-faire ou régimes.
Évidemment, il n'est nullement interdit, bien au contraire d'améliorer ses conditions matérielles de vie, d'habiter son corps, d'en prendre soin et de le chérir. Cependant, le corps, à l'opposé du credo de la religion moderne de consommation, ne pourrait s'ériger en la seule source, en l'unique espace de bonheur, hâtivement confondu avec le plaisir et l'agréable, le bien-être et le confort physiques.
Le bonheur vient de nous-mêmes. Il représente une disposition, une aptitude interne psychique. Il prend son origine dans cette extraordinaire mais si simple sensation d'exister, dans cette ineffable certitude d'être vivant et entier dans un corps réel. Il se trouve dans le plaisir de vivre, dans le désir et l' « en-vie » d'exister, vivant parmi les vivants et non dans les plaisirs de la vie."

Extrait du livre "Le bonheur d'être soi" de Moussa Nabati Psychanalyste, thérapeute et chercheur en psychologie
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Re: L'individuation

Message par kesiaa »

Que signifie être soi ?

Être soi ne consiste nullement, comme on le croit, à faire « ce dont on a envie », librement, affranchi de tout devoir, de toute limite et de tout sentiment de culpabilité, sans tenir compte de la volonté d'autrui. Cela ne signifie pas non plus, en se plaçant au centre du monde, sans attache ni souverain, se couper de ses origines, de ses ancêtres, de son pays, de sa religion, bref, de tout ce qu'on n'aurait pas délibérément choisi.
Paradoxalement, c'est lorsque le sujet se croit le plus libre, incapable de contrôle et de patience, qu'il est le moins autonome psychiquement, le plus prisonnier de sa toute-puissance pulsionnelle, des normes collectives et de la publicité. La liberté excessive invalide et diminue l'autonomie psychique.
Être soi veut dire s'aimer, s'accepter, se respecter tel qu'on est, dans son corps, son âge et son sexe, en jouissant notamment d'un psychisme séparé, différencié, autonome, dégagé des confusions d'identités, de places et de fonctions ainsi que des dépendances parasitaires. Lorsqu'on est soi, on ne se trouve ni enclavé par, ni inclus dans le psychisme des autres, bien qu'étant en lien et en échange avec eux, dans le respect de la différence et de la distance.

Être soi signifie pouvoir ressentir, penser, choisir, désirer, décider, s'exprimer en son propre nom, pour son compte propre et de sa vraie place, en étant conscient des enjeux et de ses responsabilités.

Mais comment le soi se met-il en place ? Qu'est-ce qui favorise ou entrave son heureuse évolution ?

Il se construit au sein du triangle père-mère-enfant à l'aide de deux ingrédients majeurs, l'amour et l'autorité. Le premier lui fournit l'énergie et la seconde l'agence, le régit en lui donnant un sens et en l'inscrivant dans un cadre, des repères et des limites. L'arbre, tout en plongeant ses racines dans la terre mère nourricière, s'élève vers le soleil, symbole par excellence de la fonction paternelle. Le soi s'élabore, sculpté par de multiples processus de différenciation lui permettant de prendre forme et contour en sortant du chaos. Lorsque l'enfant grandit dans un tel triangle, sa libido parvient à circuler naturellement, d'une manière libre et fluide, tel le sang propulsé dans les veines depuis le cœur, à travers la totalité de son psychisme, comme un fleuve irriguant les plantes du jardin intérieur sans en oublier aucune.
C'est bien cette libre circulation de l'énergie vitale, à distance des excès nuisibles de « trop » et de « peu », qui procure le bonheur, ce sentiment subjectif et singulier, à nul autre comparable, d'être soi, vivant et entier.
À l'inverse, la difficulté pour la libido de circuler librement et de façon fluide à travers des divers étages et pièces de la maison/soi trouble la certitude et la sécurité d'être vivant et entier dans un corps réel, et se traduit par l'éloignement du bonheur. Le gros rocher, le seul vrai obstacle importunant cette circulation, provient, provient de la culpabilité et de la dépression infantile précoce (DIP). Celles-ci apparaissent essentiellement dans trois situations.

L'enfant se voit parfois personnellement victime, en toute innocence, d'une maltraitance, d'un rejet, d'un désamour, d'un abus sexuel. Il assiste, à d'autres moments, en toute impuissance, à la souffrance de ses proches : maladie, dépression, décès, divorce. Enfin, en troisième lieu, branché sur l'inconscient de ses parents et donc relié à leurs enfants intérieurs, il accède au « disque dur » de l'héritage transgénérationnel. Il sait, par exemple, sans en avoir conscience, si ses parents l'aiment pour lui-même dans la gratuité du « désir » ou s'ils ont « besoin » de lui pour « rafistoler » leur union lézardée, remplacer un enfant rappelé au ciel prématurément ou encore les aimer eux, leur prodiguer l'amour dont ils ont été frustrés dans leur propre enfance. Dans ces derniers cas, il se voit érigé en enfant thérapeute, chargé d'éponger la DIP de ses parents. Les parents n'élèvent donc pas leurs enfants, comme ils me croient, par ce qu'ils disent ou font consciemment , mais par ce qu'ils sont authentiquement, au-delà des apparences.
Ce désordre ne prédispose pas l'enfant à devenir lui-même, puisqu'il se voit très tôt délogé de sa place et fonction légitimes au sein du triangle.
Les trois situations évoquées s'apparentent en ce qu'elles plongent le petit dans un contexte de pénurie narcissique, de famine dont il se croit, bien que victime innocente, foncièrement coupable, comme si c'était de sa faute si ses parents ne l'aimaient pas ou ne s'aimaient plus ou n'avaient pas été aimés dans leur Ailleurs et Avant.

En raison de cette carence narcissique culpabilisante, la libido ne peut circuler librement, en abondance et de façon fluide partout à travers la maison/soi et le jardin intérieur. Certains arbres, certaines branches se trouvent ainsi délibidinalisés, rétrécis, éteints, cassés, inanimés, rachitiques, dévitalisés, morts ! La gestion libidinale, rationnée comme en temps de guerre, occasionne la dépression infantile précoce. Toute dépression renvoie invariablement à une mort symbolique, à l'existence des fantômes errants, des cadavres intérieurs laissés sans sépulture.
La libido, afin de circonscrire la DIP, mais aussi pour sauver les autre parties saines et vivantes du psychisme des risques de contamination, se voit contrainte de s'emballer, de s'emporter, de surenchérir, de s'exciter, en sombrant dans l'excès. Cela fait tomber en panne le thermostat régulateur. Dès lors, le sujet n'est plus porté par le « désir » tranquille, serein et gratuit, mais par le « besoin » tendu, crispé, impérieux et vital d'échapper toujours et partout à la mort psychique. Celle-ci apparaît sous les formes déguisées de l'ennui, de la solitude, du vide, de la monotonie, contre lesquels l'individu se mobilise dans le but de museler la DIP. Ainsi, il se met constamment en quête intense, addictive et dépendante d'objets, de personnes et de substances lui procurant la sensation d'être vivant, entier et réel : l'hyperactivité, la surconsommation, la sexualité effrénée, l'abus de médicaments, l'utilisation de drogues, licites ou illicites… Cette mutation du désir en besoin régressif, excessif, addictif, tel l'or changé en plomb ou le bon vin en vinaigre, contraint d'hyperdévelopper un seul pan de son identité plurielle au détriment de tous les autres, laissés en jachère. Par exemple, la femme sacrifiant sa vie sentimentale et sexuelle, n'existera plus qu'à travers une maternité exagérée, tandis que l'homme immolera sur l'autel de la réussite sociale, de l'ambition et de la brillance toutes ses aspirations intérieurs.

Il s'agit évidemment là d'un paradoxe troublant, dans la mesure où toute cette agitation anxieuse, motivée par la DIP, loin de produire le bonheur escompté, n'aboutit qu'à épuiser encore plus le Moi, en dilapidant le peu de vitalité qui lui reste, en brûlant son capital santé. Parfois, l'excitation et la surenchère du « toujours plus » l'acculent dans des voies perverses.

Extrait du livre "Le bonheur d'être soi" de Moussa Nabati Psychanalyste, thérapeute et chercheur en psychologie
kesiaa
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Re: L'individuation

Message par kesiaa »

Enfin, pourquoi la promesse d'être soi se voit-elle récompensée par le bonheur ?

Être soi c'est le grain, et le bonheur la paille. En cultivant le premier, le sujet obtiendra aussi le second, quoi qu'il arrive, de surcroît.

S'il est lui-même dans sa fonction et place, vivant et entier, à distance de la culpabilité et de la DIP, il ne se trouvera plus dans des situations expiatoires et masochistes d'échec et d'autopunition. Il ne se sacrifiera plus aux autres, en refusant inconsciemment le bonheur, convaincu d'indignité et de non-mérite, ou tracassé à l'idée de voler celui des autres, en faisant ainsi leur malheur ! De même, il ne se verra plus contraint d'exister par procuration à travers les autres, en gaspillant son énergie vitale à quémander leur reconnaissance, leur regard, leur attention, leurs compliments, par la séduction exhibitionniste ou par l'imitation. Il sera porté, à travers toutes ses relations, par le désir gratuit, l'échange et la réciprocité : être ensemble, en donnant et en recevant. Il n'aura donc plus « besoin » de son conjoint, de son travail, de son enfant pour exister. Il ne les utilisera pas comme médicaments ou prothèses pour apaiser sa DIP, pour se sentir bon, utile et reconnu. Il pourra s'affirmer en exprimant, grâce à une bonne image et à la confiance en lui-même, ses désirs et ses croyances, sans masques, sans honte ni timidité. Il osera dire non et donner des limites sans se sentir coupable ou en danger.

Convaincu d'être vivant et entier grâce à la libre circulation de l'élan vital, il sera capable, face à la pulsion et aux influences extérieurs insidieuses, de réflexion, d'esprit critique, de contrôle et de patience, en se donnant des limites ainsi qu'en supportant un minimum de contrariété, de frustration et de souffrance. Il saura résister de la sorte à tous les pervers cherchant à l'influencer, à le manipuler, en jouant sur sa corde émotionnelle et en titillant sa culpabilité.

La moindre difficulté ne lui apparaîtra plus comme une question de vie ou de mort, gravissime, dramatique, susceptible de le démolir et qu'il faudrait donc solutionner dans l'urgence. Il pourra goûter à une sensation nouvelle de paix, de richesse intérieure, de vérité et de sécurité, indépendamment de ses conditions réelles d'existence.

En résumé, l'adulte n'est jamais privé de bonheur parce qu'il lui manque quelque chose ou quelqu'un dans la réalité extérieure, contrairement au point de vue que l'idéologie de la surconsommation cherche à imposer aux consciences. Cette nouvelle religion ayant le corps pour seul objet de culte présente le bonheur comme une marchandise dans le seul dessein d'inciter à la consommation addictive d'objets ou de personnes. Elle a supplanté, au cours des dernières décennies, le tiers symbolique, la loi, cet ensemble de valeurs, de rites et de rituels qui cherchaient à transcender le corps grâce à la sublimation des pulsions. L'ambition du tiers symbolique ne consiste pas à réprimer le désir et le plaisir, mais à les rendre possibles, viables et vivables grâce au sacré, en se mettant dans l'entre-deux du Moi et de la pulsion pour protéger le premier de l'hégémonie omnivore de la seconde.

Dès lors, il ne servirait à rien [...] de s'épuiser à trouver des solutions extérieurs à un problème intérieur, solutions qui, loin de favoriser le bonheur ne feront que l'éloigner. Il est en revanche essentiel de repérer ce qui, depuis l'Ailleurs et l'Avant du passé, dans son intériorité, lui interdit, quoi qu'il fasse concrètement, d'accéder au vrai bonheur, qui est d'être soi – le grain et non pas la paille.

Le soleil brille tous les jours. Si on ne le voit pas, c'est qu'il est dissimulé par de gros nuages. La rivière coule sans interruption. Si elle se trouve sèche, c'est qu'un barrage empêche l'eau de passer. Il convient donc de dégager les nuages du ciel de l'âme et de détruire le barrage qui entrave la libre et fluide circulation libidinale. Seules la découverte et la compréhension de son histoire, à l'aide du génogramme, ou arbre généalogique, permettant de repérer les nœuds et les obstacles, afin de libérer l'enfant intérieur de la culpabilité et de la DIP et de pacifier sa relation avec son passé.

Les thérapies cognitivo-comportementales constituent, dans ce sens, une erreur de postulat. Elles confondent en effet l'adulte et l'enfant intérieur, le présent et le passé, le symptôme et l'origine, le fantasme et la réalité. À l'aide de procédés simplistes, inefficaces à long terme, fondés sur l'autosuggestion, elles réfutent le sens symbolique et l'origine inconsciente et historique du mal être individuel, pris à la lettre. Le psychisme est présenté, somme toute, comme une mécanique, machinerie sans âme qu'il suffirait de dépanner en un rien de temps ! Rappelons-le : ce n'est jamais l'adulte qui est malheureux, mais l'enfant intérieur, affecté par la DIP et la culpabilité.

Le bonheur, tel le trésor d'Ispahan, se trouve en soi, chez soi, dans sa cave, comme le dit si bien le conte, et non pas sans cesse ailleurs, toujours repoussé plus loin. La cruche gît à tes pieds, remplie d'eau fraîche. Pourquoi parcours-tu le vaste monde à la recherche d'une seule goutte ?

Extrait du livre "Le bonheur d'être soi" de Moussa Nabati Psychanalyste, thérapeute et chercheur en psychologie
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