Urgent, c'est le tournant de ma vie

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Dubreuil
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Message par Dubreuil »

Les conséquences de la violence conjugale
La violence conjugale a des effets sérieux dans l'immédiat, comme à long terme, sur tous les membres de la famille et chacun en subit les conséquences tant sur le plan physique qu'émotionnel et social.

Pour celui qui l'exerce
L'homme qui exerce la violence conjugale se pénalise lui-même et ce, de différentes façons : d'abord il peut ressentir la peur que sa relation de couple se termine, mais la violence entraîne souvent :
des problèmes judiciaires ;
la perte d'emploi ;
des jugements défavorables de la part de l'entourage ;
l'isolement graduel ;
la baisse des liens affectifs ;
la diminution des droits de visite.
2. Pour celle qui la subit

La femme confrontée à la violence de son partenaire risque de subir des atteintes graves à sa santé, tant physique que mentale, voire pour sa vie. Walker a étudié les effets de la violence connus sous le nom de Battered woman's syndrome. Elle montre que celui-ci peut être assimilé au syndrome de stress post-traumatique décrit dans la littérature psychologique et psychiatrique comme le résultat d'une exposition répétée à des traumatismes.

En effet, toute personne exposée à des abus répétés (qu'elle n'est pas en mesure d'éviter) réagit non pas de manière passive comme on le croit souvent à tort, mais en restreignant ses réactions à celles qui lui semblent les plus appropriées pour se protéger.
La violence physique marque le corps de la femme, elle provoque toujours des marques telles que hématomes, égratignures, plaies, visage tuméfié. Plusieurs femmes ont eu des membres fracturés, des blessures ouvertes à la tête, etc. Plusieurs ont témoigné avoir eu des douleurs importantes dans le corps pendant plusieurs jours, plusieurs semaines, voire à vie pour quelques-unes. Les coups ont également des répercussions sur le psychisme des victimes. Certaines souffrent d'affections somatiques (eczéma, maux de tête, infections gynécologiques) qu'elles attribuent aux conflits générés par la violence. La violence physique les fait parfois renoncer aux rapports sexuels avec leur conjoint.

Les violences physiques, psychologiques et sexuelles s'accompagnent de stress et de tension qui entament le bien-être, la santé physique et psychologique voire mentale des femmes.
La violence conjugale conduit à une perte d'estime de soi, de son identité, de sa confiance en ses possibilités, aussi bien dans sa vie professionnelle qu'au sein de son foyer. Les femmes perdent aussi confiance en leur mari et se méfient des hommes en général. La violence déséquilibre, enferme, isole, développe un sentiment de culpabilité, une dépendance psychologique et génère la peur, l'angoisse, le fatalisme, le désespoir et la honte.
La violence conjugale concourt également à détruire la victime. La victimisation 

FILLIZZOLA G., LONEZ G., Victime et victimologie, « Que…, processus qui amène des femmes à accepter la violence, porte ces dernières à développer un seuil de tolérance toujours plus élevé, ainsi qu'une perception de perte de pouvoir et de contrôle sur leur vie. L'intégration du processus de victimisation permet de comprendre pourquoi de nombreuses femmes vivent si longtemps dans un contexte de violence conjugale. La violence faite aux femmes n'est pas sans conséquence pour leurs enfants. Ils subissent, quelquefois de façon indirecte, cette violence que le père fait subir à la mère.

Conséquences sur les enfants
La violence déborde du couple et implique largement les enfants. On sait que le fait d'avoir connu la violence dans son milieu d'origine constitue un facteur de risque de reproduire cette dernière à l'âge adulte. Il y a tout lieu de penser que, même lorsque les enfants n'assistent pas directement aux scènes de violence, ils perçoivent un problème dans le couple ; ils peuvent en être affectés et c'est pour eux extrêmement douloureux et difficile, notamment pour ceux qui cherchent des modèles d'identification positive. Ils sont donc eux-mêmes victimes de violence émotive.

L'insécurité, le manque d'estime de soi, le peu de confiance en soi sont alors des conséquences directes du vécu de la violence. En voyant leur père agresser leur mère ou en étant eux-mêmes frappés, ils vont faire l'apprentissage de la violence, ils apprennent, d'une part, qu'il est dans l'ordre des choses que la femme soit violentée par l'homme et, d'autre part, que la violence est un moyen normal pour régler les conflits.

Les enfants qui assistent à des scènes de violence chez eux sont souvent ceux qui ont des problèmes de comportement à l'école, voire de violence, de difficultés scolaires (concentration, conflits avec d'autres enfants, répercussions somatiques, absentéisme). Les enfants témoins de violences conjugales peuvent également intérioriser les modèles familiaux, ce qui, pour le garçon, peut se présenter sous forme de comportements destructeurs et, pour les filles, sous forme de comportements de retrait.

Rapport hommes/femmes : dominants/dominés. - C'est la société dans laquelle nous vivons qui nous impose des modèles à suivre. Ils déterminent l'identité, les comportements et les relations de chacun.

« Notre organisation sociale est patriarcale 
WELZER LANG D., Les hommes violents, Éd. Imago du côté des… » : elle est basée sur le rapport dominant/dominé où chacun contribue à des tâches productives spécifiques, où s'exerce une préparation aux rôles des hommes et des femmes que ce soit au sein de la famille, dans le milieu scolaire, etc.
La violence conjugale peut se lire comme la traduction au niveau individuel du rapport de pouvoir entre les sexes existant dans la société au profit des hommes. La plupart des femmes interrogées se retrouvent mises à l'écart de la vie publique, notamment celles qui ne travaillent pas : « Le mariage représente une entrave à leur éventuel épanouissement et favorise plutôt l'acceptation d'une condition de victime ; il implique selon les cultures une soumission à l'époux, à une position sociale tributaire de son statut [11]

Lors des entretiens, j'ai remarqué que les rapports hommes/femmes sont basés de façon inégalitaire. Les femmes ont des formations professionnelles et des professions de niveaux inférieurs à celles de leur conjoint, ce qui entraîne un accès inégal aux ressources et confère le pouvoir économique à l'homme. La division du travail dans le couple est basée sur un schéma traditionnel qui place la femme en position d'infériorité. Les couples étudiés vivent en majorité selon un modèle traditionnel de partage du travail. De plus, à l'unanimité, on observe qu'il n'y avait pas de partage des tâches ménagères, les femmes assumaient la totalité du travail ménager et familial, la prise en charge des enfants restait l'affaire des femmes.
« On ne pouvait pas discuter, c'était ça le problème, y avait pas assez de discussions, les seules qu'on avait c'était quand on s'engueulait. »(Maryline)
« On partageait que les coups. »(Sandrine)
« Il parle pas beaucoup, il voulait pas parler avec moi, c'était pas la peine de discuter, il cassait tout, il n'acceptait pas que je lui parle, je comptais pas. » (Farida)
On observe également que les hommes violents recourent à diverses stratégies verbales pour s'imposer et réduire leur femme au silence : « C'était le ton catégorique, j'avais pas mon mot à dire, j'avais juste à me taire et puis c'est tout.» (Annick)
« Quand on n'était pas d'accord, mon mari m'interrompait à tout bout de champs, je ne pouvais quasi rien dire, s'il n'était pas d'accord parce qu'il m'écoutait pas, il parlait plus fort que moi. » (Halima)

BOURDIEU P., La domination masculine, Éd. Liber, 2000. appelle « violence symbolique », intériorisée par la femme et provoquant une attitude de soumission et donc un consensus et une absence de conflit: « C'est plutôt lui qui commandait, c'est pas qu'il est plus intelligent que moi, quand même il a fait des études, moi pas, il a donc un point de vue différent.»(Sabine)
« Il fallait dire oui, amen à ce qu'il voulait, quand il disait ça, il fallait le faire sans rechigner, c'était sa manière à lui de montrer que c'était lui l'homme.» (Halima)

Le plus souvent, la violence s'installe de façon insidieuse dans le couple. Ses premières manifestations sont rarement perçues et identifiées comme des actes de violence. Au fur et à mesure, ces actes se multiplient et finissent par devenir une habitude. La violence se banalise et s'intensifie. Une spirale infernale peut ainsi s'installer où « la femme battue » est prise dans un système dont elle ne peut sortir. La perte de l'estime de soi conjuguée avec un sentiment de responsabilité, une mission de sauvegarde de l'intégrité du groupe familial enferment les femmes dans un piège.

La banalisation de la violence. - La femme perçoit la violence physique comme un phénomène courant qui fait partie de son quotidien : « Moi je pensais que c'était normal que les couples vivaient un peu comme ça. »

L'habitude. - Parfois, la violence fait tellement partie de la vie du couple qu'il la qualifie de routinière, de normale. Certaines femmes ne se rendent plus compte qu'il y a violence. En fait, tout dépend du seuil de tolérance de chacun. Chacun a son seuil de tolérance au-dessus duquel la violence va être considérée comme grave ou intolérable. Les femmes rencontrées ont toutes eu de la peine à retrouver le moment exact des premiers actes violents, surtout lorsqu'il s'agissait de violence psychologique. Cette dernière, très souvent insidieuse, se manifeste généralement par des reproches, des critiques et des humiliations que la personne concernée, sans un travail de réflexion, perçoit difficilement comme de la violence. Dans un premier temps, beaucoup de femmes considéraient que le comportement de leur compagnon est inévitable dans le couple.

Le déni. - La femme refuse de reconnaître la violence qu'elle subit. Il lui est difficile d'admettre que l'homme dont elle partage la vie et qui est censé l'aimer l'agresse. Par ailleurs, elle ne peut ou ne veut se percevoir comme « une femme battue », réalité connotée très négativement dans la société.

L'isolement social
Un autre moyen de contrôler les femmes consiste à faire le vide autour d'elles. Certaines renoncent à leurs fréquentations ou tout du moins les restreignent. Plusieurs femmes n'ont plus aucun contact avec leur famille ou leurs amis, elles préfèrent vivre dans la solitude plutôt que d'affronter régulièrement les reproches. D'autres fréquentent leur entourage à l'insu du mari ou refusent de se soumettre à ses volontés au risque d'encourir la violence. Certaines femmes se retrouvent ainsi progressivement isolées sans même s'en être rendu compte. Cet isolement rend les femmes totalement dépendantes de leur mari : « ...et puis moi j'étais dans une maison avec mes enfants, mais mon mari n'était jamais là, j'étais isolée, pas d'amis à part ma sœur qui venait me voir de temps en temps. »(Annick)

« Quand j'avais des coups, quand j'étais marquée et tout, j'avais pas le droit de sortir, je pouvais pas aller chercher ma fille à l'école, faire les courses ni rien, j'étais enfermée, il fermait les portes à clef, je pouvais plus sortir. »(Sandrine) « J'étais pratiquement enfermée à la maison, je pouvais pas dire ni oui ni non, sinon sa main elle partait comme ça vite fait. » (Halima)

En règle générale, les violences conjugales s'accompagnent des sentiments tels que la culpabilité, la honte, la peur. L'homme a de fait une emprise totale sur sa compagne et ces sentiments renforcent « la femme battue » dans la dévalorisation de sa personne et dans son incapacité à réagir.

La culpabilité. - Un facteur qui retient les femmes auprès de leur conjoint violent est sans doute la culpabilité qu'elles peuvent ressentir. J'ai ainsi pu observer que huit femmes sur neuf se sont senties coupables des violences qu'elles subissaient. Cette culpabilité est engendrée en partie par l'attitude de leur partenaire qui les rendait responsables de la violence. Les femmes se sont également culpabilisées d'avoir provoqué par leur départ l'éclatement de la famille.

Au début, je pensais que c'était de ma faute et je me suis dit mince qu'est-ce que j'ai fait de mal. » (Sabine)
Je me disais que c'était de ma faute, parce qu'il m'avait convaincue que je ne tenais pas la maison assez propre. Au début, j'ai cru que c'était moi. Pendant très longtemps, j'ai pensé que j'avais fait quelque chose pour provoquer tout ça. Aujourd'hui, je sais que c'est lui. »(Sandrine)
Je suis restée pour les enfants et je me suis dit que c'est peut-être ma faute il faut réessayer pour pas que mes enfants grandissent sans père. » (Halima 2. La peur. - Le mot peur revient le plus souvent dans les témoignages, peur quand l'homme menace ou devient violent, peur de l'escalade de la violence, si elles se défendent, peur « d'y passer ». La femme victime de violence conjugale se trouve constamment sous tension jusqu'à la paralysie totale parfois. En effet, la violence peut surgir à n'importe quel moment, pour n'importe quel prétexte. Lorsque la violence devient fréquente, un climat d'angoisse et de peur s'installe : « C'était imprévisible, on vit dans la peur et la hantise, on se dit qu'est ce qu'il va m'arriver. » (Annick)J'étais incapable de me dire va-t'en, porte plainte, mais je ne pouvais pas.» (Sandrine)
« J'ai eu très peur, je suis tombée par terre, j'ai ressenti de la tristesse, j'étais effondrée. »( Sabine)
593. La honte. - D'après les récits des femmes violentées, la violence reste cachée et secrète car elle s'exprime hors du cadre familial. Ce secret est lié à la honte d'un tel fonctionnement.
La honte sans arrêt, on vous regarde, et on se demande ce qui vous est arrivé, on a l'impression qu'on est fautif, on ne le dit pas, même aller voir un médecin, on a plutôt honte, on a pas envie de se montrer de dire qu'on a été vraiment frappée, enfin... on a plutôt honte, on se sent sale, on pense qu'on a fait quelque chose de mal. De dire qu'on est battue c'est dur de le dire, c'est le regard des autres, on se dit elle l'a cherché, elle a peut être bu... c'est dégradant... même à de bonnes amies je ne disais rien, on se cache... à la police, on vous pose des questions indiscrètes, en général c'est souvent des hommes, on a pas envie de se montrer, pour porter plainte, il faut se montrer. Le problème des femmes battues, les vraies femmes battues elles le disent pas, il faut mentir, se cacher tout le temps, on évite la famille, les amis et quand on vit dans une famille où y a pas eu ça, ils comprennent pas. » ( Annick)
« C'est un peu un sentiment de honte, on a du mal quand même à dire que l'on se fait frapper par quelqu'un alors que l'on a plus l'âge de se ramasser des raclées. C'est un sujet assez difficile surtout qu'on sait qu'il n'y a pas trop de solutions et puis chez nous le divorce c'est négatif, alors je gardais tout ça pour moi.» (Halima)
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Dubreuil
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Message par Dubreuil »

Autres facteurs associés à la violence
Présence de la violence dans l'histoire familiale. - Les théories de l'apprentissage social et des rôles de sexe voient dans les comportements d'agresseur ou de victime le résultat d'apprentissages effectués au sein de la famille de groupe d'appartenance. Selon ces théories, la violence ne serait que la reproduction de ce qui a été vécu pendant l'enfance et expliquerait également la conformité à des définitions rigides du rôle attribué à chacun des sexes. Lors des entretiens, je me suis aperçue que trois femmes sur neuf ont grandi dans un climat familial violent et ont reçu une éducation rigide. Leur père se montrait autoritaire alors que leur mère était effacée. On peut supposer que leur vécu de violence durant leur prime enfance influencerait les situations de violence à l'âge adulte : « Mon père était violent avec moi et ma mère, je l'ai tout le temps connu violent, avec ma mère c'était pas tellement une relation mère/fille, on était plus copine. Avec mon père, je prenais sur la gueule pour n'importe quelle raison. Ma mère souhaitait pas que j'ai la même vie qu'elle a eue, malheureusement c'est pas ce que j'ai fait. »(Sandrine)

« Je n'ai pas eu une enfance bien, j'étais repoussée, j'ai eu une mère indigne. Mes parents tapaient beaucoup pour un rien. On était très serré à la maison, il fallait pas faire une connerie ou de travers sinon, on était dérouillé. »(Maryline)
Selon les dires d'une conseillère conjugale, bien souvent les femmes victimes de violence conjugale, ont une histoire personnelle douloureuse, soit elles ont été maltraitées soit elles ont vu leur mère se faire battre : « Les modèles familiaux sont là avec de la violence. » Les études récentes sur ce thème mettent toute-fois en garde contre une interprétation trop déterministe de ce facteur. Certes avoir fait l'apprentissage de la violence dans sa famille d'origine entraîne un risque de reproduire ce comportement à l'âge adulte. En réalité, les déterminants à l'œuvre sont complexes et ne sauraient être réduits à une cause unique.

L'alcool- L'amalgame entre violence conjugale et alcoolisme est un thème récurrent. Ceci n'est pas une des causes de la violence, l'alcool peut être le révélateur ou accentuer la violence, mais il en est pas forcément à l'origine. Ainsi, on entend souvent dire que l'homme bat sa femme parce qu'il a bu. « L'homme ne bat pas sa femme parce qu'il a bu, mais boit pour justifier le fait de battre sa femme » 

WELZER LANG D.,Arrête, tu me fais mal.. Le potentiel de violence peut être présent chez l'individu, que celui-ci fasse ou non usage de l'alcool. Des hommes violents continuent de battre leur femme après avoir cessé de boire et, inversement, d'autres consomment encore après avoir mis fin à leur comportement violent. Cinq femmes sur neuf, ont expliqué la violence de leur partenaire sous l'emprise de l'alcool : «L'alcool c'était constamment du matin au soir jusqu'à ce qu'il se couche, mais il disait qu'il n'était pas alcoolique.» (Sandrine)

« Il y a des personnes qui, quand elles boivent, vont être douces et vont aller se coucher, lui c'était pas le cas, quand il avait bu, il était dans une autre phase, l'alcool et les copains c'était sans arrêt.» (Annick)
« Quand il boit pas, il est très gentil, mais quand il boit il est méchant, c'est l'alcool, toujours l'alcool. »(Farida)
Les chercheurs et chercheuses qui étudient les causes de la violence attirent l'attention sur le fait qu'aucun facteur pris isolément ne suffit pas à expliquer la violence, parce qu'il s'agit d'un phénomène complexe et multicausal.

VI. Rupture avec les violences conjugales
Mettre fin à une relation caractérisée par la violence n'est pas chose facile, c'est là un fait bien connu et reconnu, la femme restera souvent dans la même situation pendant des années, mais subira des violences répétées de plus en plus intenses. La décision de rompre définitivement, vient le moment où tout espoir à disparu. L'accumulation de comportements violents et humiliants ou un nouvel événement qu'elles jugent intolérable (par exemple de la violence contre leurs enfants), décident les femmes à partir.

Les neuf femmes interrogées se sont toutes séparées définitivement de leur conjoint violent, mais huit d'entre elles sont parties à plusieurs reprises de leur foyer avant de rompre définitivement. La séparation exige des femmes une véritable préparation tant sur le plan psychologique que matériel. Elles doivent faire le deuil d'une relation à laquelle elles ont cru, quitter un mari ou un partenaire qu'elles ont aimé et surtout admettre que leur vie de couple finit sur un échec. À travers l'analyse des entretiens, je peux dégager deux grands types de raisons qui ont amené les femmes à rompre. La première raison, certes, minoritaire concerne trois femmes sur neuf, à partir d'une volonté personnelle. La seconde concerne six femmes sur neuf, qui ont rompu grâce à des tiers, soit la famille, soit l'environnement ou les enfants.

1. La démarche personnelle
La volonté personnelle.- Pour une enquêtée, le fait d'avoir repris des études lui a fait prendre conscience de sa situation. Sa conception du monde a changé et il y a eu, semble-t-il, rupture avec le modèle de la femme soumise : «J'étais soumise à cet homme-là. Je pensais comme lui, j'étais moins évoluée qu'aujourd'hui... C'est à ce moment-là que j'ai changé et ça ne lui a pas plu. J'ai vu les choses différemment, je réalise que je ne suis pas rien, je me sens appréciée, j'en ai eu marre de me laisser marcher dessus.» (Sabine)

Prise de conscience personnelle.- L'espoir d'un changement chez le conjoint se manifeste de diverses façons ; la femme peut espérer qu'elle arrivera à changer le comportement de ce dernier. Elle peut aussi croire ses promesses de changement. La décision de rupture est liée à la prise de conscience pour la femme que le mari ne changera pas : « J'en ai eu marre de l'alcool. Chaque année, je me disais peut-être il va changer et puis ça continue, il m'a tenu des promesses et puis j'ai découvert que c'était un alcoolique. Il veut arrêter, mais il n’arrive pas, il ne me respecte pas. » (Farida)

Parce que j'en ai eu marre, j'arrive pas à rester avec lui, j'étais pire qu'une femme de ménage. » (Corine)
« Je pense que je ne peux plus rien faire, j'ai fait le maximum, il ne veut pas se remettre en question. Je ne veux pas de cette vie-là, je ne peux plus continuer comme cela » (Sabine).

Visibilité de la violence. - Certaines femmes « supportent » la violence, mais ne supportent pas les images négatives que l'on peut avoir d'elles. Les marques visibles trahissent l'histoire privée du couple. Le regard des autres apparaît alors comme une nouvelle souffrance : « J'en avais marre d'être tapée et les voisins ils voyaient tout, je ne pourrais plus habiter là-bas, la police venait, j'avais honte. Et je me suis dis, est ce que j'ai une vie normale déjà ? Et après, j'ai su qu'on ne devait pas être tapé comme ça, pour moi je pensais que c'était un peu normal. »(Maryline)

L'escalade de la violence. - Chacun a son seuil de tolérance, mais lorsque la limite est dépassée et que le degré de la violence augmente de plus en plus, alors cette inhabituelle variable de la violence peut être une raison du départ : « Une claque d'accord, mais la violence que j'ai vue, je peux pas continuer. C'est pour ça que je suis partie, si je l'excuse, je sais qu'un jour il va recommencer. » ( Farida).

Les éléments extérieurs
Le fait d'être soutenu permet de mieux réfléchir à la situation. « Les femmes battues » ont besoin d'entendre dire par leur entourage que ce qu'elles vivent n'est pas normal ; cela les aide à prendre conscience du caractère inadmissible des actes qui leur sont infligés. Le travail précédent le départ a été long, il leur a souvent fallu le coup de pouce d'un tiers (famille, amis, travailleur social) pour partir.

L'influence de la famille. - Dans certains cas, la décision de rupture est confortée avec l'aide de la famille : « C'est un peu ma sœur qui m'a aidée. (Moi, je vivrais comme tu vis, je prends mes cliques et mes claques. Moi si j'étais à ta place, je me tirerais). C'est la seule qui me l'a fait comprendre, sinon je ne serais pas partie, je serais encore là-bas, elle m'a donné le courage que je n'avais pas réussi à trouver. » (Halima)

« Ma sœur m'a dit : t'as pas une vie de couple normal, tu peux pas vivre comme ça. Pour moi, je croyais que c'était normal, que les gens vivaient comme ça. Ma sœur me disait : c'est pas normal, tu vis toujours toute seule. Et au fur et à mesure que j'ai commencé à vieillir, et puis j'ai rencontré quelqu'un qui m'a dit: c'est pas normal que tu vis dans ce contexte-là. C'est pas normal que des gens faisaient attention à moi, c'est grave de dire des choses pareilles » (Annick).
« Les gens m'ont aidée à prendre ma décision, ils m'ont dit que c'est pas une vie de continuer avec un alcoolique. Il faut changer de vie et puis tu es encore jeune, tu as la vie devant toi, lui il veut pas changer. » (Farida)

L'influence des enfants. - On remarque souvent que les femmes quittaient un conjoint violent quand elles avaient pris conscience des répercussions de la violence sur les enfants. Les femmes de notre étude ont signalé les répercutions sur les enfants, comme le premier facteur qui les a poussées à partir.

« Une fois qu'on a mis les pieds dans l'engrenage, c'est difficile de s'en sortir. Ce qui aide parfois c'est les enfants, on réagit pas beaucoup quand les coups c'est nous qui les recevons ; c'est plutôt quand on voit que c'est les enfants qui les subissent. » (Halima)
« C'est par rapport à ce que j'ai vécu, je ne veux pas que mes enfants subissent la même chose. » (Corine)
« Je suis partie à cause des enfants, ils étaient tristes et ils voyaient les scènes de violence. Si je n'avais pas eu les enfants je serais partie tout de suite... il a menacé de mort les enfants et ça m'a fait peur, puis il s'en est pris physiquement aux enfants, ils pleuraient, ils criaient, ils étaient affolés. » (Maryline)
Enjeu extrêmement fort : alternative au placement de l'enfant. - «Deux fois involontairement il s'en est pris à ma fille, comme je suis passée au tribunal et tout, soit je rentrais au foyer et je gardais ma fille... Donc entre lui et ma fille, j'ai choisi ma fille. Tant que ça me touche moi personnellement à la rigueur, je supportais difficilement, mais j'arrivais quand même à supporter, mais à partir du moment où il a commencé à toucher à ma fille c'était tout, on ne m'a pas laissé le choix. » (Sandrine)

Ces témoignages montrent l'importance de ces facteurs dans la prise de décision chez les femmes violentées. Nous l’avons vu, cette décision n'est pas facile à prendre parce que ces femmes vivent dans la peur et la souffrance. Peur de menace parce qu'on souhaite se libérer de cette souffrance, peur de partir et de ne plus avoir de moyens de subsistance parce qu'elles ne travaillent, et enfin peur de partir parce que le marché matrimonial est souvent bouché pour une femme qui divorce et qui a des enfants. L'intervention d'un tiers est donc une nécessité absolue dans le processus de la prise de conscience.

Conclusion
La violence conjugale est un phénomène de société qui touche toutes les catégories sociales et toutes les cultures. L'analyse de cette problématique est récente. En France, il faudra attendre les années 80/90 pour assister à des évolutions notables en matière législative. Le concept de violences conjugales évolue et a tendance à s'élargir.
On croit que ce phénomène a augmenté ces dernières années. En effet, on parle de deux millions de « femmes battues », mais ces chiffres sont sous-estimés. Malgré l'existence de dispositifs d'aide, de prise en charge, les femmes victimes hésitent encore à se faire connaître, car c'est difficilement avouable. Il y a aussi le poids des idées reçues, la honte, le sentiment de culpabilité et d'échec dont les femmes se sentent coupables.

L'origine réelle des violences est souvent confondue avec les facteurs qui y sont associés tels que l'alcool ou le manque de communication. Bien que ces facteurs puissent favoriser l'expression de la violence et qu'ils soient présents dans plusieurs situations, la violence conjugale trouve sa véritable source dans les rapports de domination et d'inégalité entre les deux sexes.
Cette recherche m'a permis de réfléchir aux difficultés des femmes ayant été victimes de violences conjugales, ainsi que de l'aide, du soutien que l'assistante sociale peut leur apporter, ceci en gardant à l'esprit la dimension éthique du respect de la vie privée et de la déontologie (non-assistance à personne en danger). Cela nécessite également un travail de compréhension de soi et de l'autre. La prise en charge des violences conjugales n'est possible que si on envisage de prendre en compte l'homme violent, afin de rompre la violence. Mais on oublie trop souvent les enfants.

Dans un tel contexte, la prise en charge des enfants peut être une question centrale. Il serait intéressant de penser à leurs problèmes, à leurs souffrances, pour éviter qu'ils ne reproduisent un comportement violent. Ces enfants sont susceptibles de reproduire la violence, seul modèle de communication qu'ils connaissent, soit dans les lieux publics (à l'école, dans la rue), soit en privé (à la maison, dans une future relation de couple). Il faut insister sur la prise en charge des enfants victimes de maltraitance afin d'éviter qu'à l'âge adulte, les hommes reproduisent la violence qu'ils ont subie et les femmes leur comportement de victimes. Il faut cependant souligner que le mari ou le conjoint qui bat sa femme n'est pas automatiquement un père violent.
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Re: Urgent, c'est le tournant de ma vie

Message par Dubreuil »

PSYCHANALYSE ET HOMOSEXUALITE
réflexions sur le désir pervers, l'injure et la fonction paternelle
Élisabeth Roudinesco

Entretien avec François Pommier
1François Pommier : Élisabeth Roudinesco vous couvrez le champ de plusieurs disciplines, vous êtes historienne et psychanalyste. Comme vous le dites, notamment dans votre dernier ouvrage, vous vous situez entre la philosophie, la science des textes et l’histoire. Vous êtes chargée de cours à l’École pratique des hautes études et auteur de plusieurs ouvrages publiés chez Fayard, parmi lesquels Histoire de la psychanalyse en France (2 volumes), Pourquoi la psychanalyse ?, Dictionnaire de la psychanalyse (avec Michel Plon), sans parler de votre tout récent ouvrage De quoi demain… Dialogue, dans lequel vous dialoguez avec Jacques Derrida sur la psychanalyse et son avenir, sur l’antisémitisme, sur la famille que vous appelez « désordonnée ».

2Vous considérez qu’à partir du moment où une réalité prend corps, la psychanalyse, comme toute autre discipline, dites-vous, devrait la penser, l’interpréter et la prendre en compte sans la condamner par avance. Vous dites cela à propos du problème très spécifique des enfants de couples homosexuels. Mais vous prenez parti également à propos de l’homosexualité en général et des psychanalystes homosexuels en particulier. Freud a concilié une conception structurale de l’homosexualité avec les données anthropologiques. L’un de ses grands combats a été en effet de dégager l’homosexualité des notions de tare et de péché, d’en faire un choix sexuel comme un autre. Il ne la regardait pas moins comme un drame et semble ne l’avoir fait sortir de la maladie que pour la situer dans le cadre des tragédies. Peut-on alors considérer, comme vous le faites, que Freud s’inscrit dans la longue lignée des défenseurs des homosexuels ? Ce sera ma première question.

3Élisabeth Roudinesco : J’ai toujours considéré que Freud était un émancipateur de l’homme en général et des femmes en particulier. Certes, il ne pouvait imaginer ce que serait le destin des hommes et des femmes au xxie siècle. Mais, dans les réunions de la Société psychologique du mercredi, qui se tenaient à son domicile au début du siècle, Freud réprouvait par exemple la misogynie de certains de ses disciples. Ainsi, dans une conférence de 1907 consacrée à la question des « femmes médecins », on trouve des prises de positions extravagantes. Fritz Wittels déclare par exemple qu’une femme qui veut devenir médecin, et donc exercer un métier semblable à ceux des hommes, cherche en réalité à sortir de sa condition « naturelle ». Elle risque alors de se nuire à elle-même : elle est forcément « hystérique », névrosée et jamais on ne devrait l’autoriser à poursuivre des études. La femme, selon lui, est destinée exclusivement à procréer. En outre, si une femme devient psychiatre, toujours selon Wittels, elle ne saura jamais comprendre la psychologie des hommes. À cela, Paul Federn oppose l’idée que les femmes ont parfaitement le droit de travailler mais il dit aussitôt qu’une femme médecin ne devrait pas être autorisée à palper les organes génitaux d’un homme. La discussion est passionnante car elle montre à quel point les premiers disciples de Freud sont divisés sur la question de l’émancipation des femmes et combien ils sont naïfs.

4Quant à Freud, il est résolument moderne. Après avoir reproché à Wittels son manque de galanterie, il affirme que la civilisation a chargé la femme d’un fardeau plus lourd que celui des hommes (la reproduction) et tout en restant persuadé que les femmes ne peuvent pas égaler les hommes dans la sublimation de la sexualité – et donc dans la créativité – il dénonce, dans la misogynie des hommes, une attitude infantile [2]
[2]
Les Premiers psychanalystes. Minutes de la Société…. Notons qu’il changera d’avis sur la possibilité de sublimation des femmes et ne cessera ensuite d’admirer des femmes exceptionnelles, aussi bien par leur talent intellectuel (Lou Andreas-Salomé) que par leur vertu « virile » (Marie Bonaparte).

Découvrir Cairn-Pro5S’agissant de l’homosexualité, Freud adopte une attitude identique. Il franchit un grand pas en refusant de classer celle-ci parmi les « tares » ou les « anomalies » de la sexualité, comme le faisaient les sexologues de son temps. Il ne considère pas que les homosexuels commettent des « actes contre nature ». Il refuse toute forme de stigmatisation fondée sur la notion de « dégénérescence ». En d’autres termes, il ne sépare pas les homosexuels des autres êtres humains et considère que chaque sujet peut être porteur de ce choix, du fait de l’existence en chacun de nous d’une bisexualité psychique. À certains moments, Freud n’exclut pas l’existence d’une prédisposition organique dans la genèse de l’homosexualité, bien qu’il reste persuadé que pour un homme, comme pour une femme, le fait d’être élevé par des femmes favorise l’homosexualité. Autrement dit, si l’homme au sens freudien est marqué par la tragédie du désir, l’homosexuel n’est autre, au regard de ce tragique humain en général, qu’un sujet plus tragique encore que ne l’est le névrosé ordinaire, puisque son choix sexuel le met au ban de la société bourgeoise. Son seul recours est alors de devenir un créateur afin d’assumer le drame qui est le sien. On trouve cette position dans l’ouvrage que Freud consacre à Léonard de Vinci [3]
[3]
Sigmund Freud, Trois essais sur la théorie sexuelle (1905),…. Et c’est dans ce livre de 1910 qu’il renonce à utiliser le mot « inverti », au profit du terme d’homosexualité.

6Freud ne classe pas l’homosexualité en tant que telle dans la catégorie des perversions sexuelles et il condamne toutes les formes de discriminations qui pèsent sur les homosexuels de son temps. À cet égard, il universalise la catégorie de la perversion et ne la réserve pas aux homosexuels, bien que les homosexuels soient souvent à ses yeux des pervers. Elle est partagée par les deux sexes puisqu’elle ne se résume pas à une perversion sexuelle. L’universalisme freudien est donc beaucoup plus progressiste que le différencialisme des sexologues et des psychiatres de la fin du xixe siècle qui traitent les homosexuels comme des « anormaux » ou comme des malades mentaux, reconduisant ainsi la catégorie chrétienne du sodomite, maudit parmi les maudits, et coupable de tous les péchés [4]
[4]
Voir aussi : Sandor Ferenczi, « États sexuels intermédiaires »,….

7L’homosexuel freudien est un sujet civilisé, un sujet dont la civilisation a besoin puisqu’il est en quelque sorte l’incarnation du sublime. Freud rejoint ici une certaine conception grecque de l’homosexualité. En ce sens, il est un émancipateur. Mais il est bien évident qu’il ne peut pas imaginer qu’un jour les homosexuels voudront se « normaliser » au point de ne plus refouler leur désir d’enfant et de se projeter dans le modèle d’un familialisme bourgeois autrefois honni et rejeté. On peut d’ailleurs faire l’hypothèse que Freud renoncerait aujourd’hui à de nombreuses thèses qu’il avait adoptées, notamment celle selon laquelle le fait d’être élevée par des femmes favoriserait pour les enfants un choix homosexuel. L’expérience montre que ce n’est pas le cas et Freud, toujours très attaché à une certaine conception de l’expérience (non expérimentale), aurait pris en compte les expériences actuelles des couples homosexuels qui élèvent des enfants.

8En 1920, à propos d’une jeune fille viennoise [5]
[5]
« Sur la psychogenèse d’un cas d’homosexualité féminine »… qu’il a eue en traitement parce qu’elle aimait une femme et que ses parents voulaient obliger à se marier, Freud donne sa définition canonique de l’homosexualité qui récuse toutes les thèses sexologiques sur l’« état intermédiaire », le « troisième sexe » ou « l’âme féminine dans un corps d’homme ». À ses yeux, elle est la conséquence de la bisexualité humaine et elle existe à l’état latent chez tous les hétérosexuels. Quand elle devient un choix d’objet exclusif, elle a pour origine chez la fille une fixation infantile à la mère et une déception à l’égard du père. Dans ce texte, Freud apporte un éclairage clinique à cette question en montrant qu’il est vain de chercher à « guérir » un sujet de son homosexualité quand celle-ci est installée et que la cure psychanalytique ne doit en aucun cas être menée avec un tel objectif.

9Un an plus tard, dans Psychologie de masses et analyse du moi [6]
[6]
Sigmund Freud, Psychologie des masses et analyse du moi, OC,…, il donne une définition plus claire de l’homosexualité masculine : elle survient après la puberté quand s’est produit, durant l’enfance, un lien intense entre le fils et sa mère. Au lieu de renoncer à elle, celui-ci s’identifie à elle, se transforme en elle et recherche des objets susceptibles de remplacer son moi et qu’il puisse aimer comme il a été aimé de sa mère. Enfin, dans une lettre du 9 avril 1935 adressée à une femme américaine dont le fils est homosexuel, et qui s’en plaint, il écrit : « L’homosexualité n’est évidement pas un avantage, mais il n’y a là rien dont on doive avoir honte, ce n’est ni un vice, ni un avilissement et on ne saurait la qualifier de maladie ; nous la considérons comme une variation de la fonction sexuelle, provoquée par un arrêt du développement sexuel. Plusieurs individus hautement respectables, des temps anciens et modernes, ont été homosexuels et parmi eux on trouve quelques-uns des plus grands hommes (Platon, Michel-Ange, Léonard de Vinci, etc.). C’est une grande injustice de persécuter l’homosexualité comme un crime et c’est aussi une cruauté. Si vous ne me croyez pas, lisez les livres d’Havelock Ellis [7]
[7]
Sigmund Freud, Correspondance, 1873-1939 (Londres, 1960),…. » Il ajoute encore qu’il est vain de vouloir transformer un homosexuel en hétérosexuel.

10Dans l’histoire du mouvement psychanalytique, c’est Ernest Freud d’un côté et Anna Freud de l’autre qui furent, contrairement à Freud, les tenants d’une attitude régressive à l’égard de l’homosexualité.

11On peut bien entendu se demander pourquoi la fille de Freud a pris ainsi une position contraire à celle de son père en replaçant l’homosexualité dans la catégorie des maladies mentales, au point d’ailleurs d’affirmer qu’une cure analytique bien menée devait aboutir à guérir l’homosexuel de son homosexualité. Anna a été accusée elle-même d’homosexualité en raison de son statut de femme célibataire n’ayant jamais connu de relation charnelle avec un homme et recherchant avant tout des amitiés féminines. Il y a donc dans sa condamnation de l’homosexualité une sorte de « haine de soi », un rejet de ce dont peut-être elle se sent coupable.

12Comme dans de nombreuses familles de la société bourgeoise du xixe siècle, Anna a occupé la place de la « vieille fille », de la fille à laquelle est dévolu le rôle de prendre en charge non seulement le père mais l’héritage patriarcal : elle a été une réplique d’Antigone. Freud a été avec elle terriblement passionné et interdicteur. Il l’a jalousement gardée pour lui, éloignant d’elle tous les disciples qui auraient voulu la courtiser et Jones notamment. Il a même tenu à analyser sa fille (en 1921-1922), ce qui a été ressenti par ses disciples comme une incroyable transgression, comme une appropriation de nature œdipienne.

13Mais, en même temps, il l’a poussée à assumer le destin moderne d’une femme intellectuelle. Anna a fait des études et elle a réussi à s’imposer dans le mouvement psychanalytique comme un véritable chef d’école. Elle a été l’une des pionnières de la psychanalyse des enfants et elle donné naissance à un courant qui porte son nom : l’annafreudisme. Dans le Dictionnaire de la psychanalyse, ce courant est recensé au même titre que le kleinisme (Melanie Klein). Anna Freud est une « fille au père », en quelque sorte, gardienne de l’héritage et de la tradition, et donc forcément conservatrice en matière de mœurs sexuelles. Elle a été une orthodoxe de la doctrine. Cela dit, il y a eu entre son père et elle une histoire d’amour fou digne des tragédies antiques.

14FP : 1921, c’est justement la date où, sous l’influence de Jones, dont vous parliez à l’instant, et contre l’avis de Freud, les homosexuels sont bannis de l’exercice de la psychanalyse.

15ER : À partir de décembre 1921 et pendant un mois, la question divise en effet les membres du fameux Comité qui dirigent secrètement l’International Psychoanalytical Association (ipa). Les Viennois se montrent beaucoup plus tolérants que les Berlinois. Soutenus par Karl Abraham, ces derniers considèrent en effet que les homosexuels sont incapables d’être psychanalystes, puisque l’analyse ne les « guérit » pas de leur « inversion ». Appuyé par Freud, Otto Rank s’oppose aux Berlinois. Il déclare que les homosexuels doivent pouvoir accéder normalement au métier de psychanalyste selon leur compétence : « Nous ne pouvons écarter de telles personnes sans autre raison valable, tout comme nous ne pouvons accepter qu’ils soient poursuivis par la loi. » Il rappelle d’ailleurs qu’il existe différents types d’homosexualité et qu’il faut examiner chaque cas particulier. Jones refuse de prendre en compte cette position. Il appuie les Berlinois, et déclare qu’aux yeux du monde l’homosexualité « est un crime répugnant : si l’un de nos membres le commettait, il nous attirerait un grave discrédit ». À cette date, l’homosexualité est donc bannie de l’empire freudien, par une règle non écrite, au point d’être de nouveau considérée comme une « tare ».

16Au fil des années et pendant plus de cinquante ans, sous l’influence grandissante des sociétés psychanalytiques nord-américaines l’ipa renforce son arsenal répressif. Après s’être détournée des positions freudiennes pour l’accès des homosexuels à la psychanalyse didactique, elle n’hésitera pas, toujours en sens contraire de la clinique freudienne, à qualifier les homosexuels de pervers sexuels et à les juger tantôt inaptes au traitement psychanalytique, tantôt guérissables à condition que la cure ait pour objet de les orienter vers l’hétérosexualité.

17FP : Est-ce que cette décision a été prise sous l’influence d’Anna Freud ?

18ER : Non, de Jones.

19FP : De Jones, mais Anna Freud est intervenue également dans cette décision ?

20ER : Anna Freud intervient plus tard. Et, pour les raisons que je viens d’évoquer, elle joue un rôle majeur dans le détournement des thèses de son père en militant contre toute possibilité d’accès de l’analyse didactique aux homosexuels. Soutenu par Jones et par l’ensemble des sociétés nord-américaines de l’ipa, elle eut dans ce domaine une influence considérable qui ne fut pas contrebalancée par le courant kleinien pourtant plus libéral mais pour lequel l’homosexualité (latente ou accomplie), était surtout envisagée, dans sa version féminine, comme une identification à un pénis sadique et, dans sa version masculine, comme un trouble schizoïde de la personnalité ou comme un moyen de faire face à une paranoïa excessive. Par la suite, elle fut assimilée à une pathologie dite borderline, ce qui permettait de la dissoudre tout en continuant à classer les patients homosexuels dans une catégorie de malades atteints de troubles gravement pathologiques et de nature en tout cas psychotique.

21Dans sa pratique, Anna Freud eut toujours pour objectif de transformer ses patients homosexuels en bons pères de famille hétérosexuels, d’où un désastre clinique. En 1956, elle encouragea la journaliste Nancy Procter-Gregg à ne pas citer dans The Observer la fameuse lettre de son père de 1935 : « Il y a plusieurs raisons à cela dont l’une est qu’aujourd’hui nous pouvons soigner beaucoup plus d’homosexuels qu’on ne le croyait possible au début. L’autre raison est que les lecteurs pourraient voir là une confirmation du fait que tout ce que peut faire l’analyse est de convaincre les patients que leurs défauts ou ”immoralités” ne sont pas graves et qu’ils devraient les accepter avec joie [8]
[8]
Élisabeth Young-Bruehl, Anna Freud (New York, 1988), Paris,…. »

22Quant à Jones, son attitude répressive s’explique de plusieurs manières. Lui-même avait été accusé de pédophilie en Grande-Bretagne, dans une Angleterre victorienne et puritaine, tout simplement parce qu’il parlait de sexualité aux enfants dont il s’occupait dans un hôpital. Émigré ensuite au Canada, il fut dénoncé par des ligues puritaines parce qu’il vivait en concubinage avec Loe Kann. Il faut comprendre ce que furent les débuts de la psychanalyse pour les premiers freudiens accusés sans cesse de vouloir corrompre la société par leurs théories sexuelles.
91Paris, novembre 2001.
PSYCHOLOGUE CLINICIEN - ANALYSTE
Dubreuil
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Message par Dubreuil »

23Désireux de normaliser l’ipa et de la débarrasser de ses praticiens les plus « déviants » (psychotiques et pervers, notamment), Jones, qui était lui-même un séducteur de femmes (contrairement à Freud), pensait que le mouvement psychanalytique devait former des cliniciens « impeccables », des cliniciens que nul ne pourrait attaquer pour des pratiques sexuelles dites « déviantes ». On peut dire que Jones agissait ainsi contre lui-même dans son désir de normalisation, de même qu’Anna Freud luttait contre son désir coupable en instaurant des règles répressives contre les homosexuels. Il est intéressant de noter que Freud, ce grand découvreur de la sexualité, ne fut ni un libertin ni un transgressif. Il n’avait pas de relations sexuelles avec ses patientes et on ne lui connaît aucune maîtresse. En conséquence, il fut plus libéral en matière de sexualité. Il n’avait pas à se défendre contre lui-même. Son point aveugle en ce domaine concerne sa fille à laquelle il portait un amour immodéré au point, comme je l’ai dit, d’être jaloux de tous les amants qu’elle aurait pu avoir.

24Notons pourtant que la British Psychoanalytical Society (bps), fondée par Jones en 1919, avait dans ses rangs des cliniciens peu conformistes. Ainsi James Strachey, l’illustre traducteur de Freud, frère du fameux Lytton Strachey, était un homosexuel avoué. Il pratiquait la psychanalyse au sein de la société avant d’épouser Alix Strachey dont il tomba amoureux parce qu’elle ressemblait à un « garçon mélancolique ».

25C’est de nos jours seulement que la fameuse règle non écrite instaurée par le Comité secret en 1921 a été progressivement « effacée » (et non pas abolie), au fur et à mesure des luttes du mouvement gay américain et surtout des outing de certains psychanalystes d’outre-Atlantique, membres de l’ipa, qui ont commencé à se déclarer ouvertement homosexuels, notamment au Congrès international de Barcelone de 1997. Ce fut le cas de Ralph Roughton, didacticien de la Société psychanalytique de Cleveland, membre de la puissante American Psychoanalytic Association (APsaA) affiliée à l’ipa. Dans un exposé retentissant, il a retracé la lutte menée par les analystes homosexuels américains qui ont fini par se faire reconnaître par l’ipa tout en élaborant les conditions d’une approche clinique capable de rendre compte de l’existence « indéniable de femmes et d’hommes homosexuels sains et matures. [9]
[9]
Ralph Roughton, « Psychanalyste et homosexuel ? », Revue… »

26Pour la première fois enfin, et tout en s’appuyant à la fois sur les travaux de Freud et sur ceux du grand Robert Stoller, psychanalyste californien spécialiste des perversions et du transsexualisme, des psychanalystes, eux-mêmes homosexuels, ont démontré, à partir de cas concrets, que l’homosexualité était un choix sexuel, une orientation sexuelle, qui ne devait en aucun cas être qualifiée, en tant que telle, de pathologie.

27Autrement dit, cette thèse permettait de renouer avec l’universalisme freudien selon lequel un homosexuel est un sujet à part entière qui peut présenter par ailleurs des troubles névrotiques, psychotiques, pervers ou borderline, au même titre que n’importe quel autre individu hétérosexuel. Il s’agissait donc là de sortir définitivement l’homosexualité du registre de la pathologie ou des perversions sexuelles, telles que le fétichisme, le sadisme, le transvestisme ou la pédophilie etc. : « Connaître l’orientation sexuelle d’une personne, écrit Roughton, ne nous dit rien sur sa santé ou sa maturité psychologique, ni sur son caractère, ses conflits intérieurs ou son intégrité. Un patient homosexuel borderline aura davantage en commun avec un patient hétérosexuel borderline qu’avec un individu homosexuel psychologiquement sain. »

28Il faut saluer le courage de ces psychanalystes. Leur combat n’est d’ailleurs pas achevé. Ils ont réussi, non pas à éradiquer l’homophobie présente dans l’ipa, mais à changer sa stratégie répressive. Aujourd’hui, plus personne dans l’ipa n’ose s’avouer publiquement homophobe. Certes, la haine contre l’homosexualité persiste avec la même violence. Elle prend cependant un visage différent de celle d’autrefois. Elle s’énonce sous la forme d’une dénégation, un peu comme l’antisémitisme des sociétés démocratiques d’aujourd’hui [10]
[10]
Voir à ce sujet : Jacques Derrida et Élisabeth Roudinesco, De… : « Non je ne suis pas hostile aux homosexuels, disent les psychanalystes homophobes de l’ipa. Oui je condamne l’homophobie, mais quand même, on ne peut pas accepter que des psychanalystes homosexuels soient des militants de la cause gay. » C’est ainsi que s’exprime le psychanalyste français Gilbert Diatkine dans sa réponse à Roughton quand il dénonce l’attitude « prosélyte militante [11]
[11]
Gilbert Diatkine, « Identification d’un patient », Revue… » de celui-ci, au nom d’une prétendue neutralité de la psychanalyse. On trouve la même argumentation dénégative chez César Botella [12]
[12]
César Botella, « L’homosexualité(s) : Vissitudes du…, un autre psychanalyste français qui n’hésite pas à déclarer que le militantisme serait un « déni du drame personnel de l’homosexuel », étant entendu que celui-ci serait atteint d’une « pathologie narcissique » que la psychanalyse ne peut en aucun cas résoudre. Pourquoi donc des psychanalystes persécutés n’auraient-ils pas le droit de militer ? En quoi le fait d’être un militant serait le signe d’une déficience de l’éthique psychanalytique ? Par ailleurs, si la psychanalyse ne peut pas résoudre la question de l’homosexualité, comme le souligne Botella, elle peut en tout cas traiter certaines pathologies narcissiques qui ne sont pas spécifiques à l’homosexualité.

29On retrouve encore la même argumentation chez Simone Korff-Sausse dans un article où elle explique que l’union homosexuelle, concrétisée par le Pacs, n’est que « la traduction sur le plan juridique de ce que le clonage promet dans le domaine de la biologie. Pacs et clones : la logique du même [13]
[13]
Libération du 7 juillet 1999. ». Ne pouvant s’opposer à la loi française, Simone Korf-Sausse se réclame de la psychanalyse pour traiter les homosexuels de clones – c’est-à-dire d’individus atteints de troubles narcissiques – et donc incapables de respecter la différence anatomique des sexes. Au-delà du caractère injurieux de l’article, ce qui est intéressant, c’est que l’auteur avoue sa défaite face au progrès de la société en matière de clonage et d’avancée juridique. Et du coup, loin de triompher, elle annonce la victoire d’une sorte d’apocalypse que seule la psychanalyse pourrait contenir. Certes, dit-elle en substance, je ne suis pas homophobe et je n’interdis pas aux homosexuels de s’unir, puisqu’ils ont la loi pour eux. Mais je prédis à la société occidentale les pires catastrophes, une plongée dans le monstrueux qui consisterait à faire du couple homosexuel une nouvelle norme sociale applicable aux hétérosexuels : « Il ne s’agit pas d’être pour ou contre le Pacs, ni pour ou contre le clonage. Ils se feront de toute façon, car ils sont inscrits dans la logique évolutive de notre société. »

30Ici apparaît la faiblesse de l’argumentation dénégative. Après avoir dit qu’on ne peut pas être contre le progrès, l’auteur « hallucine » une réalité qui n’existe pas : elle « imagine » une inversion des normes conforme à ses hantises. On voit ici fort bien que le discours pathologique n’est pas tenu par les militants de la cause homosexuelle mais par la représentante d’une société psychanalytique (la Société psychanalytique de Paris) qui brandit une prétendue « norme » de la psychanalyse pour défendre le contraire de la norme. Cela prouve bien que les pires turpitudes et les discours les plus pathologiques émanent toujours des comportements les plus apparemment « normaux ».

31La nouvelle homophobie de l’ipa se caractérise donc, par rapport aux thèses anciennes, de n’avoir aucun fondement théorique et d’être affective et pathologique. On voit donc bien l’utilité des combats du mouvement gay : celui-ci a rendu « honteuse » l’expression publique de l’homophobie. Cela n’est pas étonnant et c’est pourquoi sont indispensables toutes les lois qui suppriment les discriminations. Elles obligent les homophobes à employer des artifices et c’est un progrès.

32FP : Regardez ce qui vient de se passer dans la Société suisse de psychanalyse (affiliée à l’ipa). Dans la revue Médecine et hygiène, consacrée à la « sexologie clinique », Nicos Nicolaïdis, membre didacticien de la ssp, a déclaré que « l’homosexualité abolit la différence des sexes et des générations et qu’étant donné son complexe d’Œdipe inachevé, l’homosexuel a une pulsionalité forte qui lui fait courir le risque de violence et de criminalité [14]
[14]
Nicos Nicolaïdis, « L’homosexualité et la question de la… ». Le président de cette société, Juan Manzano, lui a répondu dans le journal Le Temps en condamnant ses propos mais en considérant néanmoins que (je le cite) : « L’homosexualité est une question très sensible difficile à traiter en dehors d’un contexte scientifique. » Que pensez-vous de ce qu’il fait passer là ?

33ER : Ici, le raisonnement ne repose pas sur une dénégation préalable. Cela tient au fait qu’en Suisse, les lois sont plus répressives qu’en France et le Pacs n’existe pas.

34En conséquence, les arguments homophobes ne s’avancent pas masqués comme chez nous. Ils sont directs. Cependant, les propos de ce psychanalyste ont été publiés après le congrès de Barcelone qui a contraint l’ipa a ouvrir un débat sur l’homosexualité. En conséquence, ils ont été condamnées par le président de la ssp, Juan Manzano. Dans un entretien au journal Le Temps, ce dernier a affirmé aussi (je cite) que les déclarations de Nicolaïdis n’engageaient que lui-même. Puis il a ajouté que la ssp ne pratiquait aucune discrimination. À la question de la journaliste faisant état d’un cas récent de discrimination à l’encontre d’un psychanalyste homosexuel, dont la candidature avait été refusée, il a répondu : « Je n’étais pas président et je ne peux pas me prononcer. Mais si les choses se sont passées ainsi, un tel cas ne se reproduirait pas aujourd’hui de cette manière-là. » Autrement dit, l’outrance verbale d’un de ses membres a conduit la ssp à mettre en cause publiquement la fameuse règle non écrite de 1921 [15]
[15]
Le Temps, 2 mai 2001..

35Il faudrait demander à Daniel Widlöcher, actuel président de l’ipa, ce qu’il pense de cela et comment il voit l’avenir.

36FP : Je lui ai écrit mais il n’a pas répondu. J’aimerais maintenant que l’on aborde la position de Jacques Lacan. Dès 1945-1946, il effectue un changement radical de perspective.

37ER : Oui. Dans l’immédiate après-guerre, les sociétés américaines sont devenues de plus en plus répressives et ont obéit aux principes de la psychiatrie qui classait l’homosexualité dans la catégorie des maladies mentales. Quant à l’école anglaise, qu’elle fut d’inspiration kleinienne ou annafreudienne, son attitude envers les homosexuels a été terrible. Chez les kleiniens, l’homosexualité fut assimilée, comme je viens de le souligner, à un trouble schizoïde, à un « moyen » de faire face à une paranoïa et donc, de toute façon, à une perversion de type sadique ou masochiste. À la limite, l’homosexualité n’existe pas pour les kleiniens. Elle est une variante d’un état psychotique mortifère et destructeur. Aussi ne figure-t-elle toujours pas dans les dictionnaires de la pensée kleinienne [16]
[16]
Voir à ce sujet : Robert D. Hinshelwood, Dictionnaire de la…, ce qui revient à maintenir les homosexuels dans la catégorie des « déviants », des malades, et donc à leur interdire l’accès au métier de psychanalyste.

38À cette époque, en France, on obéissait aux règles de l’ipa et les homosexuels étaient bannis de la formation didactique. En tant que patients, ils étaient considérés comme des malades devant être rééduqués pour devenir hétérosexuels. Dans ce contexte, les homosexuels désireux de faire une analyse ont fui les divans de l’ipa, sauf si une « perversion » particulière les conduisait à haïr leur propre homosexualité au point de vouloir l’éradiquer. Les autres, appartenant souvent à un milieu intellectuel ou artistique, préférèrent des divans moins répressifs. Nombre d’entre eux se retrouvèrent en analyse chez Lacan qui ne chercha jamais à les transformer en hétérosexuels [17]
[17]
Voir Élisabeth Roudinesco, Jacques Lacan. Esquisse d’une vie,….

39Non seulement Lacan prit en analyse des homosexuels sans jamais prétendre les rééduquer ni les empêcher de devenir psychanalystes s’ils le souhaitaient, mais, quand il fonda l’École freudienne de Paris (efp) en 1964, il accepta le principe même de leur intégration, en tant qu’analystes de l’école (ae) ou analystes membres de l’école (ame). J’ai moi-même été membre de l’efp et je peux affirmer qu’il existait à cet égard une formidable tolérance, même si, bien entendu, de nombreux psychanalystes détestaient les homosexuels. L’homophobie « privé » et personnelle est une chose, l’instauration de règles discriminatoires en est une autre. C’est bien parce que cette tolérance existait que des homosexuels, qui n’auraient eu aucun avenir dans les sociétés de l’ipa, affluèrent vers l’efp. J’ai évoqué dans mon Histoire de la psychanalyse l’itinéraire de Robert Lander qui est resté dans toutes les mémoires. Quant à François Peraldi, installé à Montréal, il fut accueilli beaucoup mieux par les lacaniens que par les autres freudiens, alors qu’il avait effectué son analyse au sein de la spp [18]
[18]
Élisabeth Roudinesco, Histoire de la psychanalyse en France,….

40Cela dit, Lacan n’avait pas la même conception que Freud de l’homosexualité. À ses yeux en effet, elle n’est en rien une orientation sexuelle. Personnage hautement transgressif, Lacan était marqué par la lecture des œuvres de Sade et par son contact avec Georges Bataille. Sa fascination pour l’homosexualité grecque le portait d’une part à faire de la figure du pervers l’incarnation de la plus haute intellectualité – fût-elle maudite – et de l’autre à regarder toute forme d’amour – voire de désir – comme quelque chose de pervers. De même que Lacan « psychotise » la clinique des névroses, de même il a tendance à voir de la perversion dans toutes les manifestations de l’amour. C’est dans ce contexte qu’il fait de l’homosexualité, en tant que telle, une perversion et non pas une orientation sexuelle. Si l’on veut comprendre comment Lacan réintroduit l’homosexualité dans la catégorie, non pas des perversions sexuelles, mais d’une structure perverse, il faut poser ce préalable. Il ne rétablit jamais l’ancien dispositif de la sexologie, de la psychiatrie ou de la théorie de la dégénérescence. Au fond, il n’est pas éloigné de ce que seront plus tard les positions de Michel Foucault ou de Gilles Deleuze. L’un et l’autre, ne l’oublions pas, valorisèrent la perversion, en tant qu’elle serait, à leur yeux, un moyen de contester radicalement l’ordre social bourgeois caractérisé par la famille œdipienne, héritée de Freud.

41Mais il existe une différence fondamentale entre Lacan et Foucault : le premier fait de la perversion une structure universelle de la personnalité, dont l’homosexuel serait la plus pure incarnation, alors que le second privilégie l’étude des pratiques concrètes de la sexualité perverse sans se soucier de les enfermer dans une structure ou une catégorie particulière [19]
[19]
Michel Foucault, Le Souci de soi, Paris, Gallimard, 1984 ; Les…. Pour Lacan, l’homosexuel est un pervers sublime de la civilisation, pour Foucault il est un personnage qui doit échapper, par une pratique subversive ou inventive, à l’étiquette infâme que lui a fait endosser le discours normatif. On voit bien en quoi la position de Lacan est radicalement différente de celle des cliniciens homophobes de l’ipa. Lacan lie l’homosexualité (féminine et masculine) à la perversion mais il refuse toute attitude discriminatoire.

42C’est pourquoi, dans son discours, la reconnaissance de l’homosexualité en tant que perversion ne conduit ni à une intolérance ni à l’instauration de règles ségrégatives. J’ajouterais d’ailleurs que Lacan, pour les mêmes raisons, ne condamne pas les homophobes. D’une manière générale, sa tolérance envers les comportements considérés comme les plus « déviants », les plus injurieux, les plus virulents, est parfois difficile à comprendre. Sans doute est-elle la conséquence de la violence qu’il portait en lui. On ne dira jamais assez combien il fut un maître transgressif, sensible à toutes les manifestations les plus exacerbées de la folie, de la mystique, de la jouissance, lucide sur toutes les turpitudes humaines. Parce qu’il fait de l’homosexualité une perversion, Lacan considère que les homosexuels ne sont pas « guérissables ». Il distingue l’homosexualité féminine, qu’il tire vers l’hystérie et la rivalité sexuelle, de l’homosexualité masculine, dans laquelle il repère l’un des fondements du lien social. Dans son séminaire sur Les Formations de l’inconscient, il déclare que si l’homosexuel tient tant à sa position d’homosexuel, c’est que pour lui la mère fait loi à la place du père, ou plutôt elle « fait loi au père ». Lacan reprend ici la thématique freudienne de l’Œdipe inversé [20]
[20]
On sait que, pour Freud, le complexe d’Œdipe est la… mais il la systématise dans le cadre de l’invention de sa propre topique (imaginaire, symbolique, réel) [21]
[21]
Jacques Lacan, Le Séminaire, livre V, 1957-1958, Les Formations….

43FP : Bref, Lacan ferait de la perversion une sorte de prototype de la sexualité. Mais alors, vous pensez qu’on ne peut pas interpréter comme un discours homophobe son commentaire sur Le Banquet de Platon dans lequel il parle à ce propos d’une « assemblée de vieilles tantes ».

44ER : Ce passage du séminaire sur le transfert a fait couler beaucoup d’encre [22]
[22]
« J’ai parlé incidemment, à propos de ce banquet, d’assemblée…. Avant d’entrer dans le détail, je répondrai que Lacan, dès 1953, fait de l’amour homosexuel le prototype de l’amour et que, comme l’amour homosexuel est à ses yeux une perversion, il y a forcément pour lui une disposition perverse dans l’amour en général, ce qu’il exprime par cette maxime inoubliable : « L’amour, c’est donner ce qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas. » Plus encore, le « désir pervers » qui, selon lui, caractérise l’homosexualité – mais ne s’épuise pas en elle – ne se soutient que d’une « captation inépuisable du désir de l’autre [23]
[23]
Jacques Lacan, Le Séminaire I, 1953-1954, Les écrits techniques… ». Pour bien montrer que le désir pervers caractérise autant l’homosexualité que l’hétérosexualité, Lacan commente l’œuvre de Proust : « Souvenez-vous de la prodigieuse analyse de l’homosexualité qui se développe chez Proust dans le mythe d’Albertine. Peu importe que ce personnage soit féminin – la structure de la relation est éminemment homosexuelle [24]
[24]
Ibid., p. 247.. »

45C’est dans cette optique qu’il faut lire le commentaire de Lacan sur le Banquet. Il compare la place faite à l’homosexualité en Grèce à celle occupée par l’amour courtois dans la société médiévale. L’une et l’autre auraient une fonction de sublimation permettant de perpétuer l’idéal d’un maître au sein d’une société sans cesse menacée par les ravages de la névrose. Autrement dit, l’amour courtois place la femme dans une position équivalente à celle que l’amour homosexuel grec attribue au maître. En conséquence, le désir pervers, présent dans ces deux formes d’amour où se joignent la sublimation et la sexualité charnelle, est désigné comme hautement favorable à l’art, à la création et à l’invention de formes nouvelles du lien social. Et Lacan de déplorer que cet amour-là n’existe plus dans l’homosexualité des années cinquante « où les lycéens sont acnéiques et crétinisés par l’éducation qu’ils reçoivent ».

46J’ai tenu à rappeler cette conception lacanienne de l’homosexualité afin de répondre ici aux accusations d’homophobie qui ont été proférées et auxquelles vous faites allusion à propos de la phrase sur les « vieilles tantes ». Ces accusations émanent de Michel Tort d’une part, de Didier Eribon de l’autre [25]
[25]
Michel Tort, « Homophobies psychanalytiques », Le Monde, 15…. Les positions défendues par ces deux auteurs sont fondées sur une analyse des textes et elles ont le mérite de proposer un véritable débat. Tort tente de « sauver » Freud de toute imputation d’homophobie pour mieux accabler Lacan, alors qu’Eribon fustige l’ensemble de la théorie psychanalytique pour opposer à la notion freudienne d’inconscient « psychique » et à celle lacanienne de « symbolique » la conception d’un inconscient « socialement construit », inspirée des thèses de Pierre Bourdieu et des travaux américains sur le gender. Eribon est un ami et je partage bon nombre de ses critiques à l’encontre des psychanalystes, mais pas toutes.

47Je ne crois pas, pour ma part, que l’on puisse traiter Lacan d’homophobe sous prétexte de quelques phrases injurieuses contre les « tantes ». Lacan manie l’injure contre tout le monde. Dans ses séminaires, il ne cesse d’insulter ses adversaires, de maudire son grand-père, de traiter de « crétins » ceux qui ne lui plaisent pas. Dans ses lettres privées, c’est pire encore. Et quand il complimente quelqu’un, l’injure est souvent présente. Ainsi quand il qualifie positivement Melanie Klein de « tripière géniale », il s’agit d’une injure d’autant plus erronée d’ailleurs que Melanie Klein ne fut en rien une tripière. On pourrait multiplier les exemples. Le vocabulaire de la haine est présent dans le discours de Lacan. Eribon aurait dû analyser l’injure chez Lacan avec la même finesse qu’il le fait dans son précédent livre à propos notamment de l’injure homophobe proférée par les homosexuels eux-mêmes [26]
[26]
Didier Eribon, Réflexions sur la question gay, Paris, Fayard,….

48Lacan n’est pas non plus homophobe quand il fait de l’amour homosexuel une perversion et du désir pervers la quintessence de l’amour sublimée. Dans son discours, le terme « perversion » n’est pas utilisée de façon dégradante ou péjorative. Comme Freud, Lacan maintient ce mot en le vidant de tout contenu infamant. Et chez lui, plus que chez Freud, la perversion est valorisée. À cet égard, comme je l’ai dit, il est plus l’héritier de Sade et le contemporain de Bataille que le continuateur de la doctrine freudienne. Sauf à vouloir évacuer la perversion des caractéristiques de la passion humaine, je ne vois pas comment on peut faire de Lacan le suppôt d’un discours homophobe. Son regard sur l’homosexualité s’apparente à celui de Proust qui fait de l’homosexuel un personnage sublime et maudit, un pervers de la civilisation.

49Je sais bien qu’aujourd’hui certains adeptes de la normalisation considèrent que Proust serait un homophobe, hanté par la haine de soi. D’autres révisent toute la littérature du passé pour y déceler des traces d’homophobie. Et il les trouvent ! Dans Shakeaspeare, dans Balzac, dans Genet et chez de nombreux grands écrivains. Elles vont souvent de pair avec une judéophobie et une misogynie. Et alors ? Toute analyse de texte, digne de ce nom, se doit d’éviter un tel réductionnisme. Or, Eribon et Michel Tort adoptent une position, réductrice, dénonciatrice, semblable parfois au discours homophobe qu’ils combattent. Ils oublient simplement d’être justes, honnêtes et objectifs avec le texte de Lacan.

50Ils omettent par exemple de dire que Lacan a été concrètement, et dans sa pratique de la cure et des institutions psychanalytiques, un émancipateur et un homme de progrès : je répète qu’il a été le premier à autoriser les homosexuels à devenir psychanalystes, sans la moindre discrimination. Quant à sa conception de l’homosexualité, elle ne mérite pas tant d’opprobre. Certes, elle exclut l’idée que l’homosexuel puisse vouloir se « normaliser », au point d’imiter les formes les plus bourgeoises, et donc les plus névrotiques des structures de la parenté. Mais elle a le mérite de rendre hommage à cette place occupée par le personnage de l’homosexuel dans la société occidentale : un personnage maudit et sublime. Il est probable que Lacan aurait trouvé navrant que les homosexuels d’aujourd’hui ne veuillent plus de cette place et fassent le choix de ressembler ainsi à ceux qui n’avaient cessé de les persécuter depuis la nuit des temps. Mais jamais il n’aurait adopté, dans les circonstances actuelles, ce discours homophobe que j’ai dénoncé plus haut. Je crois en revanche qu’il aurait été interpellé, comme nous le sommes tous, par le désir de normalisation qui s’exprime aujourd’hui chez les homosexuels.

51FP : Que pensez-vous de la haine catholique de la perversion dont parle Michel Tort à propos de Lacan ?

52ER : L’argumentation de Tort – reprise d’ailleurs par d’Eribon – ne se limite pas à cette accusation d’homophobie. Elle prétend lui trouver un fondement théorique et anthropologique. Aussi les deux auteurs font-ils de la conception lacanienne de la famille, telle qu’on la trouve énoncée dans Les Complexes familiaux (1938) [27]
[27]
Jacques Lacan, « Les complexes familiaux » (1938, 1985), repris…, une sorte de théologie fanatique, sortie tout droit de l’intégrisme catholique, et visant à empêcher les homosexuels d’accéder à des droits élémentaires : Pacs, adoption, etc. Mais pire encore, selon Michel Tort, Lacan se serait rendu coupable de sympathie anticipée envers le gouvernement de Vichy. Car la thèse de la névrose familiale et du déclin du patriarcat ne serait, je cite, que « l’étiologie du symptôme social dans les années trente, qui prendra toute son importance idéologique pendant la période de Vichy avec le personnage du maréchal – qui devait être suivi du général (sic) [28]
[28]
Michel Tort, « Homophobies psychanalytiques », dans Le Monde,… ».

53Au-delà de cette comparaison absurde, qui tend à mettre dans le même sac deux figures radicalement antagonistes de « pères de la nation » – (Pétain et de Gaulle, un traître et un héros) –, on reste stupéfait de lire de telles contre-vérités.

54Dans mon livre sur Lacan, j’avais remarqué que celui-ci avait été le premier, avant les spécialistes de l’histoire de Vienne (Carl Schorske et Jacques Le Rider), à être frappé du fait que la psychanalyse était née du déclin en occident de la famille patriarcale. Face à ce déclin, symbolisé à Vienne par l’agonie de la monarchie des Habsbourg, Freud prit acte d’une forme nouvelle de subjectivité en comparant l’homme du xxe siècle à Œdipe et Hamlet, c’est-à-dire à l’acteur solitaire d’un drame de la conscience, condamné à rejouer en permanence la scène d’un meurtre originel afin de dénouer les fils de sa généalogie.

55Notons que si la psychanalyse attribue au père une place centrale dans cette configuration, ce n’est pas pour revendiquer la posture caricaturale d’un chef de horde criminel et tyrannique – comme le feront les régimes fascistes et le nazisme – mais pour revaloriser symboliquement une paternité défaite, toujours en quête d’elle-même.

56Chez Freud, le père est une figure fragilisée par la montée en puissance de l’émancipation des femmes et c’est bien de cette tradition que se réclame Lacan. Par sa théorie dite du Nom-du-Père, il situe, en 1953, la position symbolique de la paternité au cœur de la constellation familiale. Loin d’être un suppôt de l’intégrisme, attaché à un patriarcat de pacotille, et loin de faire de la fonction symbolique du père une « essence », Lacan se veut un penseur des Lumières détaché de sa culture catholique mais capable de l’intégrer à sa démarche, comme Freud le fit avec sa judéité. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il empruntera à Lévi-Strauss la notion de fonction symbolique (du père, de la paternité) en précisant son intention de ne jamais l’assimiler à une instance nominaliste ou essentialiste.
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Dubreuil
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Message par Dubreuil »

57Cela dit, il y a chez Lacan une référence constante à la théologie chrétienne. Mais, faire de lui un représentant orthodoxe et rigoureux de l’église catholique romaine, revient à oublier qu’il fut athée, nietzschéen, spinoziste, hégélien puis structuraliste, et qu’il se désigna lui-même, dans sa jeunesse comme un « antéchrist ». Son « catholicisme » baroque et flamboyant, teinté de haine sacrée, était plus proche de celui d’un Salvador Dali ou d’un Luis Buñuel que des préceptes des bons pères. Et même si la notion de Nom-du-Père fut directement empruntée à la théologie, elle eut aussi pour fondement les catégories modernes de l’anthropologie issues de Durkheim, de Mauss et de Lévi-Strauss. À cet égard, il n’y a aucune confusion chez Lacan, contrairement à ce que prétend Michel Tort [29]
[29]
Michel Tort, « De la différence… », op. cit., p. 213., entre une loi anthropologique (l’interdit de l’inceste) et une structure familiale « paternaliste ».

58De même, il n’y a pas de contradiction de principe entre le modèle œdipien élaboré par Freud (et repris par ses successeurs) et le mouvement d’émancipation des homosexuels amorcé à la fin du xixe siècle avec le déclin du patriarcat. Si le père a été progressivement dépossédé en occident de ses fonctions autoritaires traditionnelles, la famille n’en demeure pas moins aujourd’hui, comme en 1938, une entité indestructible. Qu’elle soit « naturelle », « recomposée », « monoparentale » ou « homoparentale », elle est bien à l’image de cette tragédie œdipienne réinventée par Freud. À condition de ne pas faire de l’Œdipe un simple « complexe ». La famille sert de creuset autant à l’affirmation d’une normalité sociale et symbolique qu’au surgissement des plus grandes pulsions criminelles ou qu’à l’épanouissement des transgressions et de toutes les pathologies conscientes et inconscientes liées à la construction de la subjectivité humaine.

59On ne voit donc pas en quoi la théorie lacanienne, qui se réclame de cette conception de la famille, pourrait ressembler de près ou de loin à une quelconque prise de position homophobe comparable à celle de Tony Anatralla, prêtre psychanalyste, conseiller du cardinal Lustiger, qui s’est fait récemment le champion, comme Simone Korff-Sausse, d’une croisade inquisitoriale contre les homosexuels, qualifiés d’« adeptes d’une génitalité infantile [30]
[30]
Tony Anatrella, « A propos d’une folie », Le Monde du 26 juin…. »

60Pour faire de Lacan un représentant du catholicisme le plus réactionnaire, Michel Tort prend appui sur une lettre que celui-ci a écrit à son frère Marc-François Lacan, moine dans l’ordre des bénédictins, en septembre 1953, juste après la rédaction de son fameux « Discours de Rome [31]
[31]
« Fonction et champ de la parole et du langage en… ». Michel Tort n’a pas lu cette lettre, dont je suis la seule aujourd’hui à détenir la copie et dont j’ai en effet évoqué le contenu à deux reprises : dans le deuxième volume de mon Histoire de la psychanalyse en France (1986) et dans mon livre sur Lacan en 1993 : « On comprend le ton déjà néo-testamentaire du célèbre “Discours de Rome” de 1953, écrit Tort, en direction du Saint-Siège pour obtenir une audience du Saint-Père [32]
[32]
Michel Tort, « De la différence… », op. cit., p. 202.. »

61J’ai raconté dans quel contexte Lacan avait demandé à son frère d’intervenir auprès de Pie XII pour obtenir une audience. À cette date, très exalté par sa « reconquête » du mouvement psychanalytique, Lacan veut rencontrer le Pape. Mais il adresse aussi son « Discours » à Lucien Bonnafé pour qu’il le transmette à Maurice Thorez. Enfin, il envoie sa conférence à des personnalités importantes du champ intellectuel de l’époque. Autrement dit, et c’est ce que j’explique, il veut faire de ce « Discours », prononcé à Rome, ville hautement symbolique, un événement, au sens politique du terme. Et il sait qu’à cette date, il a de nombreux élèves catholiques parmi les Jésuites [33]
[33]
Le plus célèbre fut le père Louis Beirnaert, dont j’ai retracé… qui sont en train de s’ouvrir à la psychanalyse, de même que les communistes émergent du glacis stalinien.

62Face au pouvoir médical, représenté par la spp et face à Daniel Lagache qui incarne, à la sfp, l’entrée de la psychanalyse à l’Université, Lacan fait appel à deux autres grandes institutions d’avenir pour la psychanalyse : le Parti communiste français et l’Église. Rien de plus normal. Il ne s’agit donc pas d’une tentative de rapprocher la psychanalyse du catholicisme, ou de se convertir à la foi, mais d’une volonté de faire venir à lui les Chrétiens et, pourquoi pas, le Pape ou les plus hautes autorités de l’Église. Lacan n’hésitait devant rien pour séduire les grands de ce monde. Il tentera aussi, plus tard, de rencontrer Mao Zedong après avoir fait plusieurs fois le voyage de Fribourg pour converser avec Heidegger. Chaque fois, il s’agit de « se faire reconnaître » et de démontrer que « sa doctrine peut éclairer le monde ». En aucun cas, Lacan ne cherchait à s’inféoder à un discours, à une institution. Au contraire, il veut chaque fois amener à lui les autres.

63Le Pape n’accordera aucune audience à Lacan qui, dépité, ira se promener avec Serge Leclaire dans les jardins de Castel Gandolfo. Le quiproquo vient du fait que Marc-François Lacan a interprété cette lettre comme un retour de son frère à la foi. Quand il me l’a donnée à lire, il a tenté de me convaincre qu’il s’agissait de cela. Et j’ai eu beau lui dire que Lacan œuvrait dans le même sens avec le Parti communiste français, cela n’a servi à rien. Quant à la lettre, elle est rédigée avec habileté, puisqu’il s’agit pour Lacan de faire croire à son frère qu’il a rejoint la foi chrétienne et d’obtenir de lui l’audience souhaitée : « J’ai fondé, dit-il, avec Lagache, une nouvelle société entraînant avec nous la majorité des élèves […] Tout cela est très tonifiant pour moi, car enfin je vais pouvoir faire l’enseignement que je veux. Pour l’instant, le nœud est à Rome où je vais donner un rapport sur le langage de la psychanalyse dans toute son ampleur. Je crois que cela aura quelque effet. Mes élèves les plus sages et les plus autorisés me demandent d’obtenir une audience du Saint-Père. Je dois dire que je suis assez porté à le faire et que ce n’est pas sans un profond intérêt pour l’avenir de la psychanalyse dans l’Église que j’irai porter au père commun mon hommage. Crois-tu que tu puisses faire quelque chose pour cela ? »

64Dans une autre lettre un peu antérieure (non datée) de 1953, Lacan écrit : « Ma position vis-à-vis de la religion est d’une importance considérable dans le moment dont j’ai commencé à te parler. Il y a des religieux parmi mes élèves et j’aurai à entrer sans aucun doute en relation avec l’Église dans les années qui vont suivre sur des problèmes à propos de quoi les plus hautes autorités voudront voir clair pour prendre parti. Qu’il me suffise de te dire que c’est à Rome, qu’en septembre, je ferai le rapport de notre congrès de cette année et que ce n’est pas par hasard qu’il a pour sujet le rôle du langage (entends logos) dans la psychanalyse. »

65À la suite de nos discussions et de nos échanges épistolaires, qui ont commencé en mars 1983 et se sont prolongés pendant dix ans, Marc-François a admis que son frère n’était pas « chrétien », mais que « toute son œuvre était animée par une recherche de la transcendance ». De là à faire de Lacan un adepte des papistes et, pire encore, de Maurras, de l’Action française, voire de Vichy (Tort), il y a un abîme.

66En 1917-1918, au collège Stanislas, Lacan fut l’élève de Jean Baruzi, à l’époque où celui-ci rédigeait sa thèse de doctorat sur Jean de la Croix. J’ai montré que cet enseignement, associé à la découverte précoce de l’œuvre de Spinoza, avait eu pour effet d’opérer dans l’itinéraire de Lacan une transition entre le catholicisme dévot de sa famille et un catholicisme érudit et aristocratique pouvant servir d’instrument critique dans l’appréhension de la religion. C’est dans la même perspective qu’il faut situer la fascination qu’éprouva Lacan entre 1923 et 1924 pour Charles Maurras, au moment même où il fréquentait le groupe surréaliste et la Librairie d’Adrienne Monnier. À cette époque, au cours d’une grave crise mélancolique, il rejeta encore plus violemment toutes les valeurs chrétiennes dans lesquelles il avait été élevé. Sans adhérer le moins du monde aux idées maurrassiennes, il voulut à toute force rencontrer Maurras (comme plus tard le Pape ou Mao) prétendant s’engager dans le royalisme. À l’évidence, il admirait la langue de Maurras et un certain radicalisme monarchique qui l’éloignait encore de son milieu [34]
[34]
Voir Jacques Lacan, Esquisse, op. cit., p. 31-32..

67Pour faire de lui un maurrassien, et relire ainsi a contrario le texte de 1938 sur Les Complexes familiaux, et afin d’y retrouver la présence des thèses de l’Action française, Eribon s’appuie sur une lettre de 1924 envoyée à Maurras par la femme de Léon Daudet [35]
[35]
Lettre de Marthe Allard, dans Cher Maître… Lettres à Charles…: « Un jeune homme, ami de Maxime, qui s’appelle Jacques Lacan (23 ans, étudiant en médecine, pressé je pense, comme tant d’autres, par la nécessité de gagner sa vie), me demande depuis plusieurs semaines d’avoir une entrevue avec vous […] Il est récemment conquis à nos idées, et pense naturellement que son adhésion a une grande importance et qu’il pourra faire beaucoup […] Pourriez-vous le recevoir cinq minutes ? Je lui ai dit de vous écrire. Quand vous l’aurez vu, vous le connaîtrez et n’aurez plus qu’à lui répondre oralement : cela vous fera gagner du temps. Il me paraît cultivé, intelligent, mais encore une fois assez présomptueux. Cependant, je pense qu’il peut servir notre cause sacrée […] À bientôt, cher ami, et je vous en prie, n’accordez à ce petit Lacan qu’une courte entrevue, il ne vaut pas plus. »

68Cette lettre manifeste l’hésitation de Madame Daudet. Elle ne sait pas dire si Lacan peut être ou non utile à la « cause sacrée », mais ce qui me frappe, c’est qu’elle affirme que Lacan « ne vaut pas plus que quelques minutes ». Lacan, dont la parole était interminable et les demandes illimitées, fut souvent contraint à la modération par ses interlocuteurs – « à juste quelques minutes » – alors qu’il en demandait plus et se jugeait « indispensable ». Comment ne pas voir dans cette attitude si fréquente à son égard – on pense à Ernest Jones [36]
[36]
Au congrès de l’ipa de Marienbad en 1936, Jones coupa la parole… – la réponse à la manière dont il vivait sa relation au temps, et dont il construisit ensuite la durée de ses séances ?

69Toujours est-il que Lacan ne fut nullement maurrassien. Tout son itinéraire ultérieur le prouve. Et d’ailleurs, au moment de sa publication, le texte sur la famille, dont Eribon et Tort font le fer de lance du combat réactionnaire de Lacan en faveur de la famille patriarcale chrétienne et autoritaire, fut commentée en un sens rigoureusement inverse par Lucien Fevbre d’une part, et surtout par Édouard Pichon, psychanalyste et grammairien, maurrassien, et membre de l’Action française [37]
[37]
Notons que Pichon eut pour caractéristique d’être à la fois…. Ce dernier reprocha à Lacan son hégélianisme, son absence de considération pour la morale catholique et enfin sa conception beaucoup trop anthropologique et moderniste de la famille patriarcale. En bref, il déplorait que celui dont il reconnaissait le génie se fût écarté du droit chemin de la civilisation chrétienne, et bien française, au profit d’une adhésion à la Kultur allemande [38]
[38]
Edouard Pichon, « La famille devant Monsieur Lacan », rééd.,…. De fait, dans cet article de l’Encyclopédie française, Lacan ne conservait de Maurras que deux thèses, très peu « maurrassiennes » : l’une héritée du positivisme comtien, pour lequel la société se divise en familles et non pas en individus, l’autre empruntée à Aristote et concernant l’identité sociale du sujet [39]
[39]
Voir : Bertrand Ogilvie, Lacan, le sujet, Paris, puf, 1987..

70FP : Pour en revenir à ce qui se passe aujourd’hui concernant les rapports qu’entretiennent la psychanalyse et l’homosexualité, je vais vous poser une question en trois volets. Qu’est-ce qu’on peut penser du fait que l’homosexualité fasse l’objet de tant de débats dans les institutions psychanalytiques ? Comment se fait-il que l’homosexualité soit à ce point source d’angoisse qu’une telle discrimination s’opère dans le milieu analytique, comme si rien n’avait changé depuis quatre-vingts ans ? Qu’est-ce qui fut si violent dans la décision de l’ipa d’autrefois pour que cela ce soit maintenu jusqu’à aujourd’hui ? Peut-on considérer que l’homophobie existe au sein des écoles de psychanalyse ?

71ER : Pour répondre à vos trois questions, je dirai simplement que les institutions psychanalytiques et ses membres réagissent exactement « comme tout le monde ». La volonté des homosexuels à s’intégrer aux normes de la famille a fait émerger partout une nouvelle forme d’homophobie « par dénégation », comme je l’ai dit. L’ennui, c’est que les psychanalystes homophobes prétendent parler au nom de la psychanalyse, au nom de Freud ou au nom de Lacan, alors qu’ils ne font qu’exprimer leur opinion de citoyen. D’où les critiques qui leur sont adressées et qui, bien entendu, nous obligent à réfléchir sérieusement à l’avenir et à la capacité de la psychanalyse à prendre en compte les transformations de la famille occidentale. J’ai posé ce problème dans mon discours d’ouverture des États généraux de la psychanalyse en juillet 2000. Il me paraît donc normal que tous les groupes soient mobilisés autour de cette question.

72FP : J’ai constaté, à l’écoute de plusieurs membres de différentes écoles de psychanalyse auxquels j’ai demandé la rédaction d’un texte pour ce numéro de Cliniques Méditerranéennes sur « Les homosexualités aujourd’hui » que, dans la plupart des écoles, semble-t-il, il n’existe pas de position commune sur la question de l’homosexualité. On parle volontiers de personnalités très différentes parmi les homosexuels. Certains analystes préfèrent tout de même éviter le sujet de l’homosexualité gay ou génitale, pour parler plutôt d’homosexualité psychique. Ainsi Thierry Bokanovski parle-t-il d’« homosexualité primaire », d’« Œdipe inversé » ou « structurant », ou de type « inversif ». D’autres psychanalystes adoptent des positions plus tranchées, comme par exemple Charles Melman dans l’Encyclopédie Universalis [40]
[40]
Article « Homosexualité », rédigé en 1976 et repris depuis sans…, et ceci tant vis-à-vis de l’homosexualité masculine – je passe sur les particularités cliniques et les détails de son article – que de l’homosexualité féminine qui ne serait pas, non plus, exempte de perversion. C’est ce qu’il dit en 1990. Dans le texte publié dans ce présent numéro, Charles Melman écrit qu’il semble considérer aujourd’hui que si l’homosexualité masculine constitue bien une perversion, l’homosexualité féminine, en revanche, n’en serait pas une, dans la mesure où elle n’existerait pas. Ce serait une « hystérie aboutie », dit-il. Je voudrais savoir ce que vous pensez de tout cela.

73ER : Toutes ces « théorisations » me semblent être, une fois de plus, l’expression d’une homophobie qui s’avance masquée. Pourquoi ne pas appeler un chat un chat ? Nous savons bien que l’homosexualité « psychique » existe ou que l’homosexualité latente est présente chez les hétérosexuels. Nous pouvons également, comme l’a fait Lacan, supposer que l’homosexualité féminine serait plus « hystérique » que la masculine. Encore que… Nous n’en savons rien ! Et Lacan n’a jamais dit, comme Melman, que « l’homosexualité féminine n’existe pas ».

74En réalité, au-delà des interrogations cliniques de ce genre, ce n’est pas la définition de l’homosexualité ou des homosexualités, qui obsède aujourd’hui la communauté psychanalytique, c’est son « réel » (au sens lacanien) d’une part et sa réalité sociale de l’autre. Ce qui la dérange, ce qui la perturbe, ce qui la rend parfois paranoïaque, violente, injurieuse, c’est que des homosexuels pratiquants, c’est-à-dire des couples du même sexe ayant des relations charnelles, veuillent se comporter comme des névrosés ordinaires : avoir des enfants et vivre en famille, obtenir des droits, etc. Cela semble inacceptable pour les psychanalystes homophobes. Ils redoutent en quelque sorte qu’un acte sexuel d’une nature différente que le coït entre un homme et une femme, ne vienne se substituer à la scène primitive, à leur scène primitive freudienne. Ils craignent qu’à la scène primitive fondée sur la différence anatomique des sexes ne vienne se substituer un réel étranger et presque « monstrueux ». Comme si cette différence anatomique risquait d’être effacée ou de disparaître sous le poids d’une prétendue « homogénéisation » des sexes. Quel curieux fantasme ! Elle n’est pas prête d’être abolie cette différence sexuelle et les autres différences ne risquent pas de la recouvrir.

75Mais fort heureusement, tous les psychanalystes ne sont pas homophobes et nombre d’entre eux sont d’ores et déjà capables d’écouter autrement la parole de ces nouveaux homosexuels qui apportent le désordre dans la communauté freudienne, du fait de leur désir de norme et non pas de leur désir pervers. Je suis du reste frappée de voir que cette communauté tolère mieux les psychanalystes psychotiques ou pervers hétérosexuels que les psychanalystes homosexuels « ordinaires » (« névrotisés »), ne présentant aucune pathologie particulière. Cela montre bien qu’il existe au sein de la communauté freudienne un désir de conserver l’idée que l’homosexualité serait, en elle-même, l’essence de la perversion.

76Il faudra bien un jour accepter la nouvelle réalité, puisqu’elle existe et que, d’ici quelques temps, des lois seront votées qui rendront légal le désir de normalisation des homosexuels. Cette réalité, il faut donc la penser et la prendre en compte sans avoir peur de réviser de fond en comble nos catégories psychanalytiques. Il faut même prendre parti en faveur des homosexuels contre toutes les discriminations qui les accablent. Si la psychanalyse veut rester freudienne, elle doit poursuivre la mission civilisatrice et émancipatrice dont elle était porteuse à son origine.

77À cet égard, je pense que la conception lacanienne de l’homosexualité ne convient pas à l’analyse des homosexualités d’aujourd’hui, puisque l’homosexuel en tant qu’il incarnerait la race maudite du pervers sublime est en voie de disparition. Les homosexuels contemporains ne peuvent plus être classés globalement dans la catégorie des pervers. De même, l’homosexualité névrotisée d’aujourd’hui n’est pas, en tant que telle, une perversion : ni une perversion sexuelle, ni une perversion au sens structural. En revanche, ce qui reste de la théorie lacanienne, c’est l’idée, magistrale à mes yeux, qu’il existerait dans l’amour en général une composante, voire une structure de nature perverse, une structure « homosexuelle sublimée » commune aux homosexuels et aux hétérosexuels. Et si la thèse lacanienne de l’existence nécessaire d’un réel irréductible à la norme est exacte – il y a fort à parier que le personnage du pervers sublime et maudit se maintiendra dans notre société sous de nouvelles formes.

78Nous devons donc être vigilants face au déferlement de la violence homophobe des psychanalystes. En ce qui concerne l’œuvre de Lacan, nous sommes dans une période d’héritage. Il faut faire un choix et ne pas ressasser de façon interminable les bons mots du maître. Or, celui-ci a laissé en héritage à quelques-uns de ces disciples – minoritaires fort heureusement – d’une part un goût prononcé pour l’injure, de l’autre une lecture dogmatique de sa théorie du Nom-du-Père et de la fonction symbolique qui mérite bien les critiques que lui adressent Tort et Eribon. Plus que Freud, Lacan a suscité, voire favorisé, une lecture régressive de son œuvre. J’ai eu l’occasion d’expliquer pourquoi ailleurs.

79Charles Melman et Jean-Pierre Winter qui, au nom du lacanisme et de la psychanalyse, se sont lancés dans une véritable croisade médiatique contre les homosexuels, se servent en effet de la conception lacanienne de la paternité symbolique pour prétendre restaurer la figure perdue du père autoritaire, laquelle serait, à leurs yeux, menacée par le nouvel ordre homosexuel.

80Cette attitude ne fait que reproduire une terreur conservatrice et hostile à l’idée même de « progrès », semblable à celle qui avait envahi la société viennoise de la fin du xixe siècle. On en trouve la trace dans les textes d’Otto Weininger et de Bachofen mais jamais dans ceux de Freud. Ces auteurs, d’un conservatisme étrange et nihiliste, redoutaient une féminisation généralisée de la société, consécutive à l’émancipation des femmes. Et bien aujourd’hui, les lacaniens homophobes, rejoignant d’ailleurs leurs collègues de l’ipa, sont les victimes d’une terreur équivalente. Ils ont une peur bleue qu’une sorte d’apocalypse vienne ravager l’ensemble de la société pour l’« homosexualiser », pour « l’homogénéiser ».

81Aussi expriment-ils leur terreur sous forme d’insultes en se réclamant plutôt d’un patriarcat autoritaire de type « mosaïque » que d’un paternalisme chrétien. Ainsi Winter a-t-il revendiqué l’ordre d’un judaïsme caricatural pour stigmatiser les femmes homosexuelles ayant adopté des enfants. Elle seraient, a-t-il dit en substance, les représentantes d’un christianisme maternaliste puisque, telle la Vierge Marie, elles auraient commis la faute d’enfanter une descendance sans aucun coït hétérosexuel [41]
[41]
L’accusation a été proférée, en ma présence, le 2 février 2000,…. Des « Chrétiennes » en quelque sorte : ici l’injure anti-chrétienne est de même nature que l’insulte judéophobe. Elle suppose que la fonction paternelle « juive » serait en mesure de restaurer la véritable « Loi du Père » psychanalytique, face à un paternalisme chrétien décadent. Dans la même perspective, Winter a accusé les couples homosexuels de vouloir fabriquer des « enfants symboliquement modifiés [42]
[42]
Jean-Pierre Winter, « Gare aux enfants symboliquement… ».

82De son côté, Charles Melman a prononcé des anathèmes contre Martine Gross en accusant les parents homosexuels d’être des adeptes d’une sorte de narcissisme primaire dont serait exclue toute relation véritable à autrui. Les enfants de ces couples seraient à ses yeux, je cite, des « jouets en peluche, destinés à satisfaire le narcissisme de leurs parents ». Impossible dans ces conditions, a-t-il ajouté, qu’un tel projet soit « honorable ». Quant à la définition melmanienne de la famille dite « normale », elle est bien étrange : « J’entends par famille normale ce qui permet à l’enfant d’affronter les vraies difficultés. » Quand on sait que Lacan montrait en 1938 que les pires turpitudes et les plus grandes anomalies surgissaient toujours dans les familles apparemment les plus normales, on mesure ici ce qui sépare le maître de ses adeptes homophobes. Oserais-je dire qu’à mes yeux, ils sont le déshonneur du lacanisme et de la psychanalyse ?

83J’ajouterais que j’ai moi-même été traitée par Melman, après la publication de mon Histoire… (en 1986), de « renifleuse des pieds de Lacan », attendant que « sa queue frétille contre moi », puis d’organisatrice de « psychopride » après avoir pris, en juillet 2000, la défense des couples homosexuels [43]
[43]
Charles Melman s’est exprimé ainsi en face de Martine Gross,….

84La position la plus grave est celle prise par Pierre Legendre. Elle est injurieuse mais ne mobilise pas d’argumentation dénégative. Dans la mesure où l’auteur est un penseur important, ayant publié de nombreux ouvrages savants sur la filiation, sa responsabilité me paraît plus lourde que celle des autres. Hanté, lui aussi, par la terreur d’une décadence, ou d’une « désymbolisation » de l’occident, ou d’« une escalade de l’obscurantisme », il soutient que le désir de normalisation des homosexuels relèverait d’un hédonisme illimité, d’un refus de tout interdit et de tout tabou.

85Pourquoi les homosexuels seraient-ils responsables de cet hédonisme qui existe partout dans les sociétés dites « postmodernes » et que l’on peut en effet critiquer ? Et pourquoi désigner cet hédonisme comme un héritage du nazisme, alors que ce courant philosophique existe depuis la Grèce archaïque ? Ici Pierre Legendre dérape et sa terreur est pour le moins paranoïaque : « Pensez aux initiatives prises par les homosexuels, dit-il. Le petit épisode du Pacs est révélateur de ce que l’État se désaisit de ses fonctions de garant de la raison. Freud avait montré l’omniprésence du désir homosexuel comme effet de la bisexualité psychique […]. Instituer l’homosexualité avec un statut familial, c’est mettre le principe démocratique au service du fantasme. C’est fatal, dans la mesure où le droit, fondé sur le principe généalogique, laisse la place à une logique hédoniste, héritière du nazisme [44]
[44]
Pierre Legendre, entretien avec Antoine Spire, Le Monde du 23…. »

86Franchement, je ne vois pas en quoi le désir de normalisation des homosexuels mettrait en péril le principe démocratique. Que celui-ci soit fondé sur l’existence de la différence des sexes, et donc sur le mariage hétérosexuel, c’est certain. Mais justement, dans la mesure où l’homosexualité actuelle s’y réfère comme à un modèle, elle ne risque pas de mettre en péril la démocratie. Bien au contraire, elle réclame davantage de démocratie. Jusqu’à présent d’ailleurs – et l’actualité vient d’en donner un exemple éclatant – ce qui interdit la démocratie, ce sont les formes barbares et autoritaires d’un patriarcat archaïque. Sur ce point, les analyses de Freud sur la horde primitive et celles de Lacan sur la famille se rejoignent. Pour le moment, la seule apocalypse qui semble menacer la société occidentale – et l’islam lui-même – est celle de l’islamisme radical et terroriste. Or, je remarque que les menaces islamistes sont proférées par des barbus polygames et barbares qui entravent le corps des femmes et lancent des injures contre les homosexuels, jugés responsables d’un abaissement des valeurs viriles de Dieu le père.

87Et puis tout de même, l’homosexualité n’est pas assimilable aux mœurs sadiques ou « hédonistes » des guerriers de la sa ou de la ss. Les homosexuels, en tant que « race inférieure et dégénérée » ont été exterminés dans les camps de la mort, marqués comme les Juifs et les Tsiganes du sceau de l’infamie. Aujourd’hui, ils sont assassinés en Arabie saoudite et martyrisés en Égypte sans que l’on entende la moindre protestation de la communauté psychanalytique.

88FP : Quelques mots, si vous le voulez bien, à propos des psychanalystes homosexuels. À la fin d’un entretien que vous avez donné à la revue Ex aequo en avril 1999 [45]
[45]
Vision progressive de l’homosexualité », entretien avec Eric…, vous dites qu’un analyste homosexuel ne doit pas exhiber sa propre sexualité pour la simple raison que la règle veut que le patient ne connaisse pas la vie privée de son analyste. Que pensez-vous de cette idée et de la constitution de réseaux de psychanalystes homosexuels ?

89ER : Je pense qu’il faut appliquer, dans la cure, des règles universelles. Nous savons que les patients, dans le transfert, connaissent rapidement la nature des choix sexuels de leurs analystes. Mais il faut maintenir l’interdit actuel qui veut que l’analyste ne donne aucune information à l’analysant sur sa « vie privée ». Les analystes homosexuels doivent aussi éviter le principe du « ghetto » et prendre en cure aussi bien des homosexuels que des hétérosexuels. Si un patient dit à son analyste qu’il sait ou qu’il pense que celui-ci est homosexuel, et que cela est vrai, l’analyste ne doit pas, à mon sens, nier cette réalité. Mais pour autant, il n’a pas à étaler ses choix sexuels. La non-réponse à ce type de demande peut être, de facto, une réponse en forme d’interprétation.

90De nombreuses questions devront être soulevées à l’avenir, du fait de la transformation de l’homosexualité dans nos sociétés. Par exemple, comment procédera un analyste confronté dans une cure d’enfant à des signes évidents d’homosexualité précoce ? Devra-t-il faire en sorte que l’enfant évolue vers un autre choix sexuel ? Je pense que oui s’il s’agit d’un enfant prépubère, soumis à une fétichisation de la part de sa mère par exemple. Mais comment l’analyste pourra-t-il agir de la sorte, dans un monde où l’homosexualité sera reconnue comme une sexualité ordinaire et non plus comme une pathologie ? Quelles seront alors les frontières entre la norme et la pathologie ?
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Message par Dubreuil »

FAIRE L'AMOUR SANS AMOUR

Si certains affirment ne pas pouvoir faire l'amour sans sentiment, d’autres enchaînent « one night stand », sex friends et autres coups d’un soir. Peur de s’attacher ? de souffrir ? de se prendre la tête ? Nous avons cherché à comprendre ce qui est en jeu dans cette pratique du sexe sans amour.

D’après Sébastien Garnero, psychologue et sexologue, ce phénomène a pris de l’ampleur avec la société moderne : « Le fait de dissocier l’acte sexuel de la relation et de l’attachement amoureux s’inscrit dans une logique plus large de société de consommation et de jouissance individuelle sans entrave. Cela est centré sur l’immédiateté de la pulsion sexuelle ».

On ferait l’amour comme on fait sa gym, déconnecté.e de l’autre, avec pour seule motivation la recherche de sensations physiques. Alors, est-ce que ça fonctionne vraiment et, surtout, est-ce que ça vaut le coup ? Notre spécialiste nous répond.

Une stratégie de protection et d’indépendance inefficace sur le long terme
On pourrait se dire que le sexe sans amour présente bien des avantages, comme le fait de ne pas se sentir dépendant de l'autre, de se lâcher, de pouvoir avoir plus de partenaires, et, surtout, d’échapper à la possibilité de souffrir (si l’on n’aime pas, alors on n’est pas dépendant de l’autre, on croit ainsi préserver sa liberté). Or, derrière les corps se cachent des cœurs et des âmes avec des sentiments, des attentes et des désirs.

Qu’on le veuille ou non : quand on fait l’amour, il se passe des choses dans le cerveau. On ne peut pas empêcher le mental de vivre. En voulant scinder le corps et l’esprit, on s’éloigne de ce qui fait notre humanité et par corrélation notre bonheur. Le sexe sans sentiment renie notre nature profonde :

Une des particularités de l’être humain est que la sexualité n’est pas un simple comportement de reproduction, explique notre sexpert. La recherche d’attachement affectif constitue l’une des motivations principales de la sexualité humaine

« En réalité, rares sont celles et ceux qui souhaitent dissocier volontairement leur vie affective, amoureuse et sexuelle sur le long terme, excepté ceux qui présentent une difficulté psychique et/ou sexuelle durable ou du moins non traitée », poursuit Sébastien Garnero.


Moitié moins de bonheur et de plaisir
Sans sentiment, on se priverait par conséquent d'une bonne moitié de plaisir. D’autant que, comme nous l’avons vu, il est impossible de n'éprouver aucun sentiments. Nous en avons plus ou moins, des bons ou mauvais, des forts ou faibles, mais jamais pas du tout. Donc la question serait plutôt : est-ce une bonne idée de coucher avec des gens que l’on n’aime pas ou plus ?

« La relation d’attachement est essentielle au sentiment de bien-être dans le temps, poursuit Sébastien Garnero. En s’en coupant, on risque de générer un sentiment de solitude, de retrait relationnel, d’épuisement affectif, de perte de sens de la vie, des signes d’anxiété, de dépressivité... »

À lire aussi
Quelles conséquences la dépression a-t-elle sur la sexualité ?
Par ailleurs, les émotions positives associées à l’amour (sécurité affective, complicité, tendresse), et surtout le « besoin d’être aimé », sont également des facteurs fondamentaux de la sexualité des hommes. Et une vie humaine sans amour réciproque ne peut être épanouissante dans la durée.

Enfin, d’un point de vue plus trivial, les sentiments entrainent la production d’hormones du bonheur en grande quantité, telle que la sérotonine avec la notion d’attachement par exemple…

Coucher sans sentiments : un terrain à addictions
« En pensant se libérer des sentiments, on se condamne à vivre une errance et un nomadisme sexuel et affectif qui, dans la plupart des cas, amèneront progressivement chez certains une forme d’addiction comportementale à la sexualité, à la cybersexualité, ou aux multiples rencontres sans lendemain. Un tel positionnement à long terme ne pourrait s’inscrire que dans une logique addictive de reproduction de sensations, ou de rencontres plus ou moins éphémères sans projet de vie amoureux qui risque de nuire sérieusement à la vie intime. »


Une impossible négation de l’autre
Quand bien même nous arriverions à nier nos besoins affectifs au profit du sexuel, il n’est pas dit que l’autre en fasse autant. A moins, bien sûr, que cela soit très clair entre vous, encore que, comme tout le monde le sait, les contrats sont rarement les mêmes dans la tête de chacun des partenaires.

Cette conception se voulant "libérée", elle réduit la  relation sexuelle au sexuel, développe notre sexpert. Et l’on arrive au paradoxe suivant plutôt cocasse et étonnant : avoir une relation sexuelle  sans "relation".

Dans quels cas et pourquoi fait-on l’amour sans sentiments ?
Le sexe sans amour est parfois lié au simple besoin que la chair exulte, et, dans ces cas-là, quand l’occasion se présente, que l’on est au clair avec soi-même et que l’on en a envie, il ne faut pas se priver.

Toutefois, selon notre expert : « La plupart du temps, ce comportement est une tentative de compensation d’un mal-être sexuel et/ou relationnel dans le couple, ou lors de phases de célibats Il s’inscrit dans des processus de réassurance narcissique ou de recherche de partenaires multiples. » Voici les différents cas de figures que l’on peut rencontrer dans la pratique clinique en cabinet de psychologie et de sexologie :

comme transition suite à une rupture amoureuse douloureuse chez une personne qui ne veut ou ne peut pas s’engager dans une relation de couple ;
comme une tentative de répondre à un dysfonctionnement du couple ou frustration sexuelle récurrente par un.e amant.e ;
comme modalité de rencontres éphémères pour des célibataires souhaitant uniquement des rapports sexuels sans notion de couple ni engagement ;
comme procédé de réassurance afin de colmater stress, anxiété pour des personnes présentant des problématiques psychiques, affectives, narcissiques, sexuelles ;
comme activité physique sexuelle récréative ponctuelle équivalente à une activité de loisirs pour d’autres ;
comme prolongement d’activités autoérotiques via un partenaire équivalent à un "toy sexuel" ;
comme activité complémentaire ou pour recrutement de nouveaux partenaires pour des couples dits "ouverts, non exclusifs, libertaires, échangistes... " ;
dans des formes d’addictions sexuelles déjà installées, comme suite d’une porndépendance ;
comme alternative ou complément au recours à la prostitution pour d’autres.
À lire aussi

Le couple libre peut-il fonctionner ?
« Donc le sexe sans amour , pourquoi pas de façon provisoire, mais sûrement pas à moyen ou long terme », conclut Sébastien Garnero. Cette pratique peut parfois faire du bien, mais, souvent, elle ne répond pas à tous nos besoins d’êtres humains et atteste d’un manque ou d’une peur que l’on cherche à compenser. Il faut donc chercher à comprendre de quel manque ou peur il s’agit.
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Re: Urgent, c'est le tournant de ma vie

Message par Dubreuil »

PAREIDOLIE

C'est une sorte d'illusion d'optique qui vous donne l'impression de voir un visage au beau milieu des nuages ou sur un objet de la vie quotidienne. C'est donc que vous êtes plus névrosé que la moyenne, selon des scientifiques japonais. Et pourquoi pas de l'imagination, tout simplement ?
Vous arrive-t-il parfois de regarder les nuages dans le ciel, la surface d'un rocher ou un objet de la vie quotidienne et d'y voir apparaître un visage humain ? D'après les conclusions d'une étude menée par des chercheurs japonais, cela pourrait vouloir dire que vous êtes plus névrosé que la moyenne. Ces illusions optiques portent d'ailleurs un nom, la paréidolie.

Le cerveau structure son environnement en permanence, quitte à transformer les informations fournies par la rétine en objets connus, peut-on lire sur Wikipédia . Bien qu'elle puisse apparaître à la suite d'un dysfonctionnement du cerveau, la paréidolie exprime la tendance du cerveau à créer du sens par l'assimilation de formes aléatoires en se basant sur celles déjà connues et répertoriées par notre cerveau.

Une équipe de scientifiques japonais du laboratoire des sciences de la communication NNT à Tokyo (Japon) se sont penchés sur la question pour savoir si le fait de voir des visages partout relevait d'une pathologie ou tout simplement d'un mauvais tour que nous joue notre imagination, rapporte le site américain de Slate . Pour cela, le chercheur Norimuchi Kitagawa, qui a dirigé les travaux, a demandé à 166 étudiants de passer des tests de personnalités.

La paréidolie touche davantage les femmes

Après leur avoir fait visionner des images sur lesquelles des points au hasard avaient été tracés, les scientifiques leur ont demandé de raconter ce qu'ils voyaient. Conclusion : les étudiants qui avaient le plus de symptômes de névrose avaient davantage tendance à voir des visages, des animaux ou bien encore des plantes sur les images qu'on leur avait demandé de regarder, notamment parmi la gent féminine.

Pour appuyer leur théorie, les chercheurs japonais expliquent que les femmes sont souvent plus faibles physiquement que les hommes, l'évolution biologique les aurait dotées d'une plus grande sensibilité aux stimulis externes afin de détecter des prédateurs. Ok, passons. Par ailleurs, les scientifiques soulignent le fait que les personnes qui souffrent de névrose sont souvent plus instables émotionnellement en raison de leur nervosité. En étant constamment sur le qui-vive, ils seraient donc prédisposés à voir des visages partout.
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Re: Urgent, c'est le tournant de ma vie

Message par Dubreuil »

PAREIDOLIE

C'est une sorte d'illusion d'optique qui vous donne l'impression de voir un visage au beau milieu des nuages ou sur un objet de la vie quotidienne. C'est donc que vous êtes plus névrosé que la moyenne, selon des scientifiques japonais. Et pourquoi pas de l'imagination, tout simplement ?
Vous arrive-t-il parfois de regarder les nuages dans le ciel, la surface d'un rocher ou un objet de la vie quotidienne et d'y voir apparaître un visage humain ? D'après les conclusions d'une étude menée par des chercheurs japonais, cela pourrait vouloir dire que vous êtes plus névrosé que la moyenne. Ces illusions optiques portent d'ailleurs un nom, la paréidolie.

Le cerveau structure son environnement en permanence, quitte à transformer les informations fournies par la rétine en objets connus, peut-on lire sur Wikipédia . Bien qu'elle puisse apparaître à la suite d'un dysfonctionnement du cerveau, la paréidolie exprime la tendance du cerveau à créer du sens par l'assimilation de formes aléatoires en se basant sur celles déjà connues et répertoriées par notre cerveau.

Une équipe de scientifiques japonais du laboratoire des sciences de la communication NNT à Tokyo (Japon) se sont penchés sur la question pour savoir si le fait de voir des visages partout relevait d'une pathologie ou tout simplement d'un mauvais tour que nous joue notre imagination, rapporte le site américain de Slate . Pour cela, le chercheur Norimuchi Kitagawa, qui a dirigé les travaux, a demandé à 166 étudiants de passer des tests de personnalités.

La paréidolie touche davantage les femmes

Après leur avoir fait visionner des images sur lesquelles des points au hasard avaient été tracés, les scientifiques leur ont demandé de raconter ce qu'ils voyaient. Conclusion : les étudiants qui avaient le plus de symptômes de névrose avaient davantage tendance à voir des visages, des animaux ou bien encore des plantes sur les images qu'on leur avait demandé de regarder, notamment parmi la gent féminine.

Pour appuyer leur théorie, les chercheurs japonais expliquent que les femmes sont souvent plus faibles physiquement que les hommes, l'évolution biologique les aurait dotées d'une plus grande sensibilité aux stimulis externes afin de détecter des prédateurs. Ok, passons. Par ailleurs, les scientifiques soulignent le fait que les personnes qui souffrent de névrose sont souvent plus instables émotionnellement en raison de leur nervosité. En étant constamment sur le qui-vive, ils seraient donc prédisposés à voir des visages partout.

*** Heu... misogynes les japonais ?
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Re: Urgent, c'est le tournant de ma vie

Message par Dubreuil »

Message non lu par Archutopie » 03 juin 2023, 14:26

Bonjour tezg,

C'est quoi l'analyse jungienne ? Elle consiste à assimiler les contenus refoulés ou inconscients de la psyché, elle est basée sur les travaux
Du psychanalyste Carl G. Jung, qui a développé le concept d'Ombre comme l'une des composantes de la personnalité
Elle vise à rétablir l'équilibre entre le conscient et l'inconscient, en tenant compte des archétypes

Elle est pratiquée par :
Des psychologues cliniciens formés à la psychanalyse jungienne ou à la thérapie des schémas
Vous pouvez trouver ces professionnels sur le site (SFPA) qui est un site reconnu
https://cgjungfrance.com/accueil/trouve ... te-region/
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Re: Urgent, c'est le tournant de ma vie

Message par Dubreuil »

« Il y a des médecins pour soigner le cœur, des médecins pour soigner les dents, des médecins pour soigner le foie, mais qui soigne le malade ? »
Sacha Guitry.
1En médecine, les aspects affectifs de la relation intersubjective sont rarement travaillés dans le cadre du processus décisionnel, ce qui, du point de vue de l’éthique de l’écoute et de la relation à l’autre, n’est pas sans poser de véritables problèmes. Les psychologues cliniciens ont les compétences leur permettant de repérer les mouvements psychiques en jeu dans la relation soignante. En ce sens, leur présence dans les services de médecine, et ce, dès l’annonce du diagnostic, n’est-elle pas la condition nécessaire pour que se développe, à l’hôpital, une véritable culture éthique de l’écoute ?

2La tradition médicale française veut que le médecin s’intéresse, d’abord et avant tout, aux troubles du corps de son patient. Comme le dit David Lebreton, « le médecin a un souci de maladie et non le souci d’un malade » (Le Breton, 2006). Cela peut paraître un peu excessif de dire les choses ainsi, mais il est vrai que la formation médicale est, dans son essence, arrimée au corps du malade, à ses symptômes et ne se soucie guère du vécu subjectif en lien avec la maladie. « Il faut souligner que, si la médecine s’est penchée sur le fonctionnement du corps, il s’agit d’un corps “isolé” et non d’un corps en relation. L’“homme médical” est celui qui est né de la dissection puis de la physiologie », rappelle Jean-Pierre Visier (Visier, 1999).

3Alors que, dans leur pratique quotidienne, les médecins sont régulièrement confrontés à la souffrance et à la détresse humaine, leur formation universitaire, principalement scientifique, ne les prépare pas à écouter les malades ni à prendre en charge leur angoisse et leur souffrance.

4Au cours de la consultation médicale, dès les premières paroles prononcées, le médecin repère la maladie. Il l’isole comme une entité autonome, extérieure et à distance du corps qui la porte. « Cette construction médicale de la maladie, nous dit Roland Gori, “objective” le corps du malade pour pouvoir l’examiner, l’ausculter, le palper, le mesurer, l’explorer et le modifier dans tous ces fonctionnements vitaux, pour suspendre et éradiquer les effets d’une maladie » (Gori, 2005).

5Selon ce mode très singulier d’appréhension du réel, pendant des années, la souffrance du malade, celle de sa famille, celle des soignants aussi, a été massivement évitée, déniée ou contre-investie, selon l’idée fausse (mais encore bien présente) que, pour bien combattre une maladie, mieux vaut ne pas être parasité par des manifestations affectives réciproques.

6Au fil du temps et de ses conquêtes, la médecine s’est progressivement éloignée de l’homme malade, donnant ainsi raison à la célèbre phrase de René Leriche qui dit que « ce qu’il y a de moins important dans la maladie, c’est l’homme… » (Leriche, 1940).

Le corps, lieu de son inscription dans le monde
Découvrir Cairn-Pro7Mais, pour l’homme ordinaire, son corps est d’abord le lieu de son inscription dans le monde, avant d’être un organisme susceptible d’être appréhendé scientifiquement. Et les malades l’ont fait savoir aux soignants, à travers, notamment, leurs états généraux. « Je suis un être physique, psychique, un être subtil et spirituel. Comment m’avez-vous traitée ? », s’interrogeait une malade, en 1998, lors des Premiers états généraux des malades du cancer. En 2003, le rapport sur la fin de vie, rédigé par notre collègue Marie de Hennezel, répondait sans aucune ambiguïté à cette demande d’écoute de la souffrance. Ce rapport laissait entendre que le médecin ne pouvait, à lui seul, répondre à toutes les demandes qui étaient formulées à son endroit et qu’il était nécessaire de l’entourer de collaborateurs, dont les psychologues cliniciens, spécialement formés à l’écoute et à la prise en charge de la souffrance des malades, des familles et des soignants (De Hennezel, 2003).
Malgré la très grande pertinence de ce document qui faisait une analyse rigoureuse et juste de la situation sur le terrain, les choses ont peu évolué. Les postes de psychologue clinicien sont restés relativement rares dans les services de médecine, eu égard aux immenses besoins.

Lorsque le dialogue s’établit autour de la technique
8Il suffit d’assister à une consultation médicale pour voir que la représentation d’un corps objectivable charpente et structure toute la relation de soin. En cancérologie, par exemple, le dialogue médecin-malade s’établit principalement autour de la technique, des traitements et des effets secondaires. Dès l’annonce du diagnostic, toute l’attention du malade est focalisée sur le programme personnalisé de soins (pps). Lorsque la relation médecin-malade se scelle uniquement autour du projet curatif, le malade, fragilisé dans ses assises narcissiques par l’annonce du diagnostic, ne peut que s’identifier au désir de guérir du médecin. « Dans cette optique, la technique va devenir le tuteur de la relation. Sa prégnance, son inscription dans le temps, vont transformer un dialogue en “trilogue” où patient et médecin discourent autour de la technique. Ainsi, dans le cas de la maladie cancéreuse, patient et médecin peuvent devenir dépendants de la chimiothérapie, devenue seule modalité possible pour continuer l’échange. La technique devient alors le socle de la relation. » (Mallet, 2007.)

9Lorsque la technique occupe une place centrale, la souffrance n’est pas souvent prise en compte dès l’annonce du diagnostic, ni suffisamment reconnue et soutenue tout au long de l’évolution de la maladie, et rien n’est fait pour en diminuer l’impact (hormis la prescription de traitements anxiolytiques et-ou antidépresseurs qui est souvent nécessaire, mais rarement suffisante).

10À l’hôpital, nous dit François Marty, « quand un sujet cherche à faire entendre sa souffrance par la médecine, il devient un “patient”, et sa parole, comme son organisme, révèlent alors des “symptômes”. Mais, dans la maladie, le patient est confronté à la logique du médecin, celui dont la fonction est de lire les signes du corps pour les interpréter et en faire l’ordonnance. » (Marty, 2004.) Et ce primat de la technique se retrouve bien évidemment dans les différents plans qui se succèdent, « Plan Cancer », « Plan Alzheimer et maladies apparentées », dans lesquels la pertinence de l’intervention des psychologues cliniciens n’est jamais clairement évoquée… (Cadec, 2008.)

11Concrètement, lorsque tout se passe bien du point de vue technique, le malade échappe à la mort. Il devient alors, conformément au célèbre spot publicitaire diffusé par la Ligue contre le cancer, « un héros ordinaire »…

12Mais que se passe-t-il, pour le malade comme pour le médecin, lorsque la maladie cancéreuse évolue et échappe aux traitements curatifs ?

13Car, au fil des échecs thérapeutiques et des récidives, la prise en charge médicale technique que nous évoquions plus haut s’appauvrit forcément, ce qui réduit considérablement les distances médecin-malade, avec le risque, pour le médecin, d’être à un moment ou à un autre « contaminé », voire « envahi », par l’angoisse de mort du malade et-ou de sa famille. Comme le rappelle le Pr François Goldwasseur, cancérologue, chef de service à l’hôpital Cochin, « en situation avancée, incurable, le médecin redevient seul tandis qu’émotion et détresse culminent, l’exposant à de mauvaises décisions parmi lesquelles l’acharnement thérapeutique tient une place manifeste » (Goldwasseur, 2008).

14Au moment de la bascule curatif / palliatif, pour ne pas abandonner le patient à son triste sort, le médecin peut lui taire la cruelle vérité (il n’est pas un « héros ordinaire ») et continuer à lui prescrire, dans un souci manifeste d’humanité, jusqu’à la fin de sa vie, des chimiothérapies dites « non agressives », entendez « palliatives ». Car le patient, en l’absence d’une prise en charge précoce et adaptée de son angoisse, est naturellement devenu, au fil du temps, totalement dépendant de la prescription médicale et des traitements. Pris au piège de la technique, la relation médecin-malade s’enferme dans les non-dits…
15Mais le médecin peut aussi, dans un mouvement contre-transférentiel négatif qui sera forcément vécu comme très violent par le malade, se détourner de lui, s’en désintéresser, et demander son transfert rapide à domicile et-ou dans une unité de soins palliatifs. Le Dr Marie-Sylvie Richard raconte : « La décision de transfert est prise par l’équipe médicale : l’assistante sociale doit chercher une solution au plus vite, et les familles en sont tout juste informées. Le malade, lui, reste très souvent absent de la décision. “On” lui explique rapidement que son état ne nécessite plus une hospitalisation en service de médecine aiguë ou spécialisée et qu’il doit être orienté vers une structure plus adaptée à son état. Parfois, la vérité est travestie, l’unité de soins palliatifs devient un service de rééducation, ou une maison de convalescence où le malade fera des progrès ! » (Richard, 2004.)
Le passage de la dynamique active curative aux soins palliatifs est alors très brutal, ce qui, du point de vue de l’éthique de l’écoute et de la relation à l’autre, doit, bien évidemment, nous interroger collectivement (Amar, 2005).

figure im1
Les soins palliatifs : symptôme d’une médecine clivée
16L’apparition du mouvement des soins palliatifs est l’indéniable symptôme de cette médecine clivée qui, sur son versant technique, curatif, oublie trop souvent de prendre le temps d’écouter l’homme malade dans sa dimension subjective et de s’intéresser, dès l’annonce du diagnostic, à son angoisse et à sa souffrance. Pourtant, lorsqu’un médecin annonce une maladie grave à un malade, il actualise pour lui deux maladies : une maladie organique (le cancer, le sida, la sclérose latérale amyotrophique [sla]…) pour laquelle il dispose de solides compétences techniques, mais aussi, et il ne faut surtout pas l’oublier, une maladie anxieuse, qu’il convient de prendre en charge, de manière précoce et adaptée, notamment par une écoute respectueuse de la demande.

17La prise en charge de la maladie sur son versant technique, somatique, est assurée au mieux. Les médecins cancérologues se félicitent notamment de la mise en place des réunions de concertation pluridisciplinaires (rcp) qui réunissent, en un temps T, plusieurs compétences médicales de spécialités différentes autour du dossier d’un malade.

18Les médecins expliquent que la pluridisciplinarité leur permet de rendre « plus objectives » les stratégies thérapeutiques à prendre (ou pas) pour un malade donné… Ce qui est moins souvent verbalisé, c’est que le groupe permet aussi de se sentir moins seul et de diluer le poids de la décision médicale, notamment lorsqu’il s’agit d’arrêter les traitements. Dans ces réunions, il s’agit, là encore, de discourir autour de la technique, la part intersubjective que comporte toute relation de soins (et la nécessaire mise au travail de cette dimension) n’étant que très rarement abordée. Car, en médecine, comme nous le pointions dans un précédent article (Brocq, 2008), les aspects affectifs de la relation intersubjective sont rarement travaillés dans le cadre du processus décisionnel, ce qui, du point de vue de l’éthique de l’écoute et de la relation, n’est pas sans poser de véritables problèmes. Comprendre ce qui se joue dans la relation intersubjective, apprendre à écouter le patient et sa famille, entendre les émotions de tous, comprendre aussi ce que la maladie grave et la confrontation avec la mort peut avoir de traumatisant pour le malade et-ou pour ses proches, reconnaître sa propre subjectivité en tant que soignant ou encore tenir compte des réactions de l’équipe n’apparaissent pas comme une démarche centrale à la délivrance d’une information de qualité. Les psychologues cliniciens ont les compétences leur permettant de repérer, dès l’annonce du diagnostic, les mouvements psychiques en jeu. Mais, actuellement, on les regroupe dans des unités dites de « soins de support » et-ou de « psycho-oncologie », et ils sont ainsi volontairement tenus à distance des équipes de soins.

19Pourtant, nous dit Pierre Le Coz, « seule une pensée qui médite, une pensée réflexive nourrie d’un questionnement sur les états affectifs ressentis au cours de la rencontre avec le malade, peut donner une substance éthique à la décision » (Le Coz, 2007).

20Cette réflexion ne peut être visiblement entendue qu’au moment de la bascule curatif / palliatif, au moment où la parole du malade redevient un objet de soin. Pourtant, c’est dès l’annonce du diagnostic qu’il convient de tenir compte de la subjectivité de tous.

21Ce constat nous amène donc à nous demander quelle place est reconnue à une souffrance subjective éprouvée dans la médecine d’aujourd’hui.
L’écoute à l’hôpital
22À l’hôpital, si l’on écoute le malade, c’est d’une écoute somatique dont il s’agit, centrée sur les signes objectifs du corps. Progressivement, l’analogie entre le traitement de la douleur physique et celui de la souffrance s’est généralisée, faisant du médicament l’unique traitement. Pourtant, comme le rappelle le Pr de psychiatrie, Daniel Widlöcher, « on n’a jamais guéri une douleur morale par un antidépresseur. Lorsque les médicaments agissent, sur quoi agissent-ils ? Peut-on estimer qu’un antidépresseur agit sur l’estime de soi, qu’il apaise le deuil, qu’il calme l’impulsivité ? Je ne le crois pas. » (Widlöcher, 1999.) Si la prescription de traitements anxiolytiques ou antidépresseurs peut parfois être nécessaire, la plupart du temps, elle doit être coordonnée à des entretiens psychologiques réguliers, sinon les rechutes anxieuses ne sont pas rares. La plupart du temps, la souffrance qu’engendre la confrontation à la maladie grave est abordée à l’hôpital, comme s’il s’agissait d’une « maladie mentale », causant des « troubles du comportement » qu’il conviendrait donc de traiter « avec les moyens de la psychiatrie moderne, c’est-à-dire ceux d’une anesthésie généralisée » (Del Volgo, 2003). Par cette approche analogique, la souffrance existentielle normale de la confrontation à la maladie grave est transformée par le médecin, qui est la cheville ouvrière de cette transformation, en souffrance pathologique, relevant d’une symptomatologie nécessitant, principalement, une prise en charge active par des traitements. Les conséquences de cette manière très singulière d’aborder l’homme malade reviennent à répudier la souffrance psychique normale de la confrontation à la maladie grave dans le champ psychiatrique…

23Prenant appui sur ce nouveau clivage, dans les services de soins, tout est désormais « pensé » comme si tout était simple pour le malade, comme s’il lui suffisait de savoir la vérité objective, scientifique, sur sa maladie pour faire des choix éclairés et résolument objectifs, comme si, finalement, il suffisait de faire table rase de la vérité subjective, pour que le vrai savoir, c’est-à-dire le savoir scientifique, s’impose et vienne à bout de la subjectivité du malade.

24Pour favoriser une approche « rationnelle » de la maladie et encourager une bonne observance des traitements, ce sont les aspects les plus « cognitifs » de la prise en charge qui sont désormais privilégiés.

25Il est même envisagé par certains auteurs de faire de la maladie chronique un véritable métier (!)… (Birmelé, 2008). Dans un tel contexte d’« ordonnancement » de la souffrance, il est aisé de comprendre que le psychologue qui véhicule avec lui la douleur des malades, l’angoisse des familles, le mal-être des soignants, leur subjectivité aussi, ne trouve plus de place dans ce monde qui veut lutter « rationnellement » contre la maladie. Et, comme le pointe très justement Bruno Cadec, les attaques se multiplient pour « liquider » tout ce qui concerne la psychologie clinique à l’hôpital en tant que spécialité (Cadec, 2008).

Les conséquences sur le malade de cette absence d’écoute
26À cause de cette manière singulière de penser la clinique, le sujet organiquement atteint est subjectivement défait par le discours médical ambiant. Du point de vue intrapsychique, le malade est « déconnecté » de ses émotions les plus violentes. Il se retrouve en quelque sorte « exproprié » de son corps souffrant. Car, dès l’annonce du diagnostic, il n’y a aucun lieu pour accueillir sa parole, aucun lieu pour exprimer toute la peur viscérale qu’il ressent, aucun lieu où pourront s’énoncer le dialogue intime et l’expérience intersubjective qui se nouent précocement entre lui et sa maladie. La parole est forclose par le discours médical qui se centre exclusivement sur la technique et sur les soins (la radiothérapie, la chimiothérapie, l’élaboration du pps après la rcp). Le discours techno-scientifique de la médecine moderne s’adresse non pas à un malade, mais à un corps objectivé par l’imagerie médicale, à un corps « cassé », « abîmé », qu’il convient de « réparer ». Entraînant le patient sur son terrain de compétence, jusqu’au bout, le praticien se protège de trop d’émotions. Il peut ainsi rester concentré sur la maladie et se montrer encore plus « performant » et encore plus « efficace ». Pour se défendre, le patient, lui, se voit contraint aux mécanismes de défense, au déni, au mutisme ou à l’angoisse dépressive.

27Les conséquences du point de vue psychologique sont immenses. La plupart du temps, après l’annonce du diagnostic, le malade va rester comme « accroché » à la bouche de son cancérologue, à sa parole. Conformément aux injonctions véhiculées par les milieux soignants qui l’invitent, de manière défensive, à toujours garder « bon moral », le malade va consacrer toute son énergie psychique à inhiber ses ressentis, ses propres réactions, pour finir par se soumettre totalement au corps médical, à cet autre tout-puissant, porteur de vie, porteur d’espoir.

28Tandis que le malade s’emploie « à faire confiance » et à « garder bon moral », progressivement, il se coupe de ses ressentis les plus violents, de ses affects et de ses émotions. Insidieusement, dans le même temps, la dépendance aux traitements s’installe. Petit à petit, le malade va se centrer sur les signes de son corps. Ce dernier devient le support de la plainte. Il centralise toute l’expression douloureuse. Progressivement, du point de vue intrapsychique, le patient perd sa capacité de rêver, sa créativité s’appauvrit, ses rêves se « squellettisent », et, avec l’angoisse qui grossit, il entre dans un monde où « dire », c’est faire apparaître la chose. « J’ai un nodule au foie, mais ce n’est pas cancéreux… »

29Le malade devient de plus en plus fragile, dépendant et vulnérable. Sa dépendance à l’autre devient prégnante. Elle s’inscrit dans leur regard, notamment lorsque le malade se met à scruter non pas l’autre, mais le regard de l’autre sur lui, pour finir, au stade ultime, par se regarder dans le regard de l’autre, un peu comme le faisait le petit enfant avec sa mère avant d’exister par lui-même. Dans un tel environnement, où, du point de vue intrapsychique, l’agression est permanente, le symptôme organique, et plus particulièrement la douleur, peut devenir une nécessité pour l’économie psychique. La douleur peut alors être investie comme une bouée de sauvetage, devenir un mode de protection et occuper la place d’une parole qui ne peut être dite. En fin de vie, les douleurs qui échappent aux traitements antalgiques usuels sont l’expression de cette détresse qui n’a pas été prise en compte et pour laquelle des sédations terminales sont parfois proposées et-ou demandées…

Soigner ne peut se réduire à un acte technique
30Soigner ne peut se réduire à un acte technique. La parole et l’écoute de l’homme malade sont des valeurs essentielles dans le cadre du soin. Car le malade détient un savoir sur sa maladie, et sa souffrance psychique est tout entière contenue dans les mots qu’il emploie pour raconter ce qui lui arrive. Écouter un malade est un acte central du soin. Il convient d’entendre la vérité du patient sur sa maladie, vérité pour lui essentielle qu’il peut aussi camoufler derrière de pesants silences. Par sa présence dès l’annonce du diagnostic, le psychologue clinicien se doit d’être là, pour que chaque patient, pour que chaque famille, soient reconnus et respectés dans la singularité de leur fonctionnement intime, de leurs émotions, de leurs angoisses…

31« Le respect de la dimension psychique est un droit inaliénable. Sa reconnaissance fonde l’action des psychologues », énonce, dans son article premier, notre code de déontologie.

32La visée du psychologue clinicien est de donner au malade la possibilité de se « détacher » d’une situation de vie passée, pour élaborer et réinvestir une nouvelle forme de vie qui tienne compte des réalités nouvelles, très contraignantes, qu’impose la maladie. Malgré les pertes et les deuils successifs qu’il faudra accompagner aussi sur le plan psychique, il s’agit de maintenir, autant que faire se peut, une dynamique de vie positive, en travaillant sur les ressources mobilisables plutôt que sur les défaillances. La difficulté vient de ce que la mobilisation des processus de mentalisation, leur remaniement lorsque cela s’avère nécessaire, est souvent lente par rapport à la progression du mal.
C’est pourquoi le psychologue clinicien doit intervenir le plus précocement possible après l’annonce du diagnostic et maintenir un lien régulier avec le patient, mais aussi avec sa famille. Être là, aux côtés du malade, à son écoute et travailler encore et toujours sur ce que sa parole peut susciter en soi… Et, comme nous l’avons déjà dit, l’angoisse du patient ne vient pas toujours de ce qu’il dit, elle peut aussi venir de ce qu’il tait…

Le psychologue clinicien, un acteur incontournable
33La rencontre avec un psychologue clinicien, c’est-à-dire un non-médecin, me paraît avoir une vertu essentielle pour le malade : justement celle de démédicaliser son expérience de la maladie. La pratique médicale, nous l’avons vu, cherche à tout prix à faire taire le symptôme (ce qui est normal et nécessaire), tandis que la pratique du psychologue clinicien vise, tout au contraire, à le laisser parler, à l’écouter dans tout ce qu’il a de plus subjectif et de plus singulier (ce qui est, à notre avis, tout aussi normal et nécessaire). Il s’agit de deux pratiques qui s’opposent en tout point. C’est pourquoi le psychologue clinicien doit garder son autonomie au sein de l’équipe médicale et ne pas se trouver dans un lieu clivé et à distance des malades, des familles et des équipes, comme cela est malheureusement le cas dans les unités dites de « soins de support » et-ou de « psycho-oncologie ». Car le psychisme humain n’existe ni ne fonctionne isolément. Il dépend de l’autre et de son projet. Être autonome ne veut pas dire être au-dessus ou au-dessous, mais à côté, aux côtés. C’est cette différenciation qui permet la libre circulation de la parole. Elle autorise la prise en compte de la dimension intersubjective dans la dynamique du soin. Le psychologue clinicien, c’est celui qui amène l’équipe à réfléchir sur les aspects les plus subjectifs de la rencontre. C’est justement parce que le psychologue clinicien n’est pas un médecin que sa présence aux côtés des malades, de leurs familles et des équipes de soins, s’avère un complément indispensable à la prise en charge médicale (Brocq, 2002, 2005, 2007). Pour que la parole circule au sein d’un service de soins, il faut un cadre contenant, sécurisant, respectueux de celui qui parle et de celui qui écoute. Cette clinique présuppose l’abandon d’un schéma d’organisation vertical pour investir un schéma horizontal, beaucoup plus souple, où chacun a sa place et respecte l’autre dans sa compétence spécifique. Elle exclut la violence et les prises de pouvoir intempestives. Elle se nourrit du respect de tous, patients, familles, soignants, bénévoles, dans leurs difficultés, mais aussi dans leurs faiblesses et fait de la libre circulation de la parole une condition indispensable à son existence. Elle présuppose l’acceptation d’un travail sur notre propre organisation psychique, sur nos propres mécanismes de défense, un refus de la toute-puissance et de l’omnipotence. Il s’agit d’accéder en équipe à l’interdépendance, niveau relationnel optimal qui, seul, permet d’encourager une écoute respectueuse de la demande. Il est tout à fait possible de promouvoir, en équipe, une véritable culture éthique de l’écoute à l’hôpital. Mon expérience de psychologue clinicienne dans un centre de référence dhos pour les maladies neuromusculaires et la sla en témoigne. Celle de beaucoup d’autres psychologues cliniciens qui exercent en service de médecine aussi. La présence de psychologues cliniciens dans les services de médecine, dès l’annonce du diagnostic des maladies graves, paraît la condition nécessaire pour que se crée authentiquement un lien entre la théorie et la pratique (Brocq, 2008, 2009). Car, en dehors de cette présence dans les équipes de soins, comment, du point de vue de l’éthique de l’écoute et de la relation, faire authentiquement vivre des notions aussi complexes et subjectives que celles de l’information au malade, du recueil de son consentement éclairé ou encore de ses directives anticipées ?

34À ce jour, selon moi, la question reste posée…

Mis en ligne sur Cairn.info le 01/12/2010
https://doi.org/10.3917/jdp.266.0027
PSYCHOLOGUE CLINICIEN - ANALYSTE
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