Urgent, c'est le tournant de ma vie

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Dubreuil
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Re: Urgent, c'est le tournant de ma vie

Message par Dubreuil »

L'ECRITURE SUR LE VECU TRAUMATIQUE

L’écriture : une résistance à l’ensevelissement du crime, à la banalisation et à la souffrance des victimes

"Au départ de ma réflexion, il y a l’hypothèse suivante : face aux effets destructeurs du vécu d’un viol (dépersonnalisation, clivage, honte, culpabilité) et face à ce que j’ai appelé dans un précédent travail la dialectique des silences (Poirier Courbet, 2007), l’écriture peut contribuer à la reconstruction du sujet victime de viol et peut aussi constituer une forme de résistance à l’ensevelissement du crime, au silence, à la banalisation, une résistance à la souffrance des victimes souvent présente malgré le temps écoulé depuis l’événement. Je me suis posé plusieurs questions : quelle place tient l’écriture dans les processus de reconstruction ? Quelles sont les caractéristiques de l’écriture qui aident à retrouver l’estime de soi, une forme de réhabilitation ? Comment s’est élaboré le passage du vécu, du travail de la mémoire et du corps jusqu’à ce travail de symbolisation ? Comment s’élabore la contradiction entre le désir de témoigner, de symboliser ce qui a été vécu dans le corps et les empêchements multiples (persistance de la honte, peur du regard de l’autre, réception difficile). Enfin comment le sujet victime de viol peut-il surmonter ces difficultés pour oser écrire, oser s’exposer ? Quel rôle le passage du temps joue-t-il dans cette reconstruction ? 

Avant d’esquisser quelques pistes de réponse, je voudrais revenir sur la question des différentes nominations de cet événement traumatique. J’emprunte à Sandor Ferenczi, le psychanalyste hongrois, une définition de la notion de traumatisme : « Le choc est équivalent à l’anéantissement de soi, de la capacité de résister, d’agir et de penser en vue de défendre le soi propre… Avant on avait trop confiance dans le monde environnant. Après trop peu ou pas du tout. » (Ferenczi, 1982) Après l’écoute des récits des femmes victimes de viol, j’utiliserai une définition proposée par l’anthropologue Véronique Nahoum-Grappe (2010) dans le cadre de sa réflexion sur les viols en situation de guerre. Je la considère féconde et juste pour les viols en situation de paix. Le viol y est défini comme un crime d’avilissement, de souillure et comme un crime continu. Cette volonté pour le violeur d’avilir, de souiller, évoque ainsi la jouissance que procure la domination, domination absolue puisqu’elle annihile la liberté de l’autre et, grâce à la menace de mort, simule même le consentement et la soumission de sa victime. Dans les viols en situation de paix, la menace de mort et la cruauté, présente à différents degrés, provoque une terreur qui sidère la victime. La notion de crime continu m’apparaît tout aussi essentielle car ma pratique des interviews de femmes victimes de viol témoigne de la permanence des effets de cette expérience traumatique dans le temps. Il leur a fallu, au cours des années qui ont suivi, travailler à dénouer le trauma, tenter d’en faire quelque chose pour sortir de l’effet annihilant, dévastateur, dépersonnalisant. Dans cet article, je ne ferai pas une analyse des effets produits mais je m’intéresse spécifiquement au processus de nomination via l’écriture comme un processus de subjectivation qui participe de la reconstruction du sujet.

Jusqu’où est-il possible de symboliser ? Deux écrivains, Aharon Appelfeld et Virginia Woolf, confrontés au traumatisme
Dans un précédent article (Poirier Courbet, 2009), je proposais de classer les processus de reconstruction en trois grandes catégories : ceux qui relèvent du processus de dégagement des effets spécifiques du viol et qui s’appuient sur le dénouement du trauma par l’élaboration du récit, ceux qui concernent les processus de reconstruction de soi à partir d’étayages concrets tels que le travail, l’amour, l’enfant. Enfin, ceux qui réfèrent au sentiment de solidarité et qui permettent de « faire quelque chose » de cet événement via le témoignage et l’écriture par exemple.

L’écriture permet en effet de mettre en ordre le chaos du vécu, en particulier dans le cas d’un vécu traumatique, de constituer un véritable étayage identitaire et une structuration du moi. Le côté structurant de l’écrit peut aussi être appréhendé à partir de cette réflexion plus globale de Claude Simon dans son discours de Stockolm en 1985, lorsqu’il reçoit le prix Nobel de littérature :
La phrase, la lettre permettrait d’ordonner ce chaos du vécu, ce magma d’émotions. Ici il serait question du narrateur auteur plus que de l’écrivain mais les questions restent les mêmes.

Dans l’analyse psychanalytique lacanienne, la confrontation à un événement produisant un effet traumatique confronte le sujet à un point de réel qui ne peut être symbolisé. Jacques Marblé de son côté nous aide à nous repérer dans une forme de distinction entre réel au sens de Lacan, imaginaire et symbolique :

« On peut se servir du trépied peur-angoisse-effroi pour se représenter un peu mieux à quoi correspond le trépied lacanien symbolique-imaginaire-réel : la peur a un nom, c’est le symbolique ; l’angoisse c’est l’imaginaire, le corps, l’image, la forme ou l’informe, qui vient couvrir le réel qui lui se rencontre parfois sous l’espèce de l’effroi. » [

Jacques Marblé cité par Émeline Caret, « Destins psychiques de….
Découvrir Cairn-Pro9On peut alors se représenter l’acte de la personne qui écrit après un événement traumatique comme une tentative de se frayer un chemin par les mots pour border le trou du réel traumatique, le trou du néant, de la déchirure. Il s’agit en effet de faire un travail de symbolisation sur ce qui ne peut pas tout à fait être symbolisé jusqu’au bout. Ce travail symbolique par l’écriture viendrait border l’angoisse envahissante, la contenir. Anne Clancier (1998) établit l’écriture comme ayant une fonction de holding pour l’auteur et le lecteur et une fonction de représentation structurante et « contenante » pour le moi. Jean François Chiantaretto (2005) de son côté forge le concept de « témoin interne », un semblable en soi auquel Je s’adresse, un témoin interne qui permet aux personnes confrontées aux situations extrêmes de faire œuvre de résistance interne. L’écriture est un moyen puissant de garantir cette possibilité. Dans son livre Histoire d’une vie, Aharon Appelfed tente de rassembler les fragments de son histoire oubliée alors que, dès l’âge de dix ans, il erre seul et affamé dans les forêts après s’être enfui d’un camp de concentration et après que ses parents sont morts. Dans la préface de son livre il écrit :
« La mémoire, tout comme le rêve, saisit dans le flux épais des événements certains détails, parfois insignifiants, les emmagasine et les fait remonter à la surface à un moment précis. Tout comme le rêve, la mémoire tente de donner aux événements une signification… Les pages qui suivent éclairent l’histoire de cette lutte, laquelle s’étend sur un front très large : la mémoire et l’oubli, la sensation d’être désarmé et démuni, d’une part, et l’aspiration à une vie ayant un sens d’autre part. »
(Appelfeld, 2004)
11Dans ce livre, Appelfeld tente de nouveau d’écrire sur cette marche forcée où il aurait pu mourir ainsi que son père. Cette écriture qui insiste, qui échappe aussi, est une illustration de ce travail de symbolisation, cette tentative de border le trou du réel traumatique.

12

« J’ai déjà écrit plus de vingt livres sur ces années-là. Parfois il me semble que je n’ai pas commencé. Parfois, il me semble que la mémoire absolue, détaillée se cache encore en moi, et que, lorsqu’elle sortira de sa cachette, elle charriera avec force et puissance le souvenir de multiples journées, par exemple cette marche forcée que j’essaie de relater, sans succès, depuis des années. Nous pataugeons depuis des jours sur des routes boueuses, une longue colonne encadrée par des soldats roumains et ukrainiens qui nous frappent avec leurs matraques et nous tirent dessus. Papa serre ma main très fort… »
(Ibid.)
13Virginia Woolf, confrontée à plusieurs traumas dans son enfance et adolescence (viol, mort de ses parents dans son jeune âge), a élaboré une théorie des chocs à partir de son expérience, à la fois sur des moments d’exaltation du quotidien et sur des moments de détresse, de réminiscence des souvenirs douloureux. Elle écrit :

14

« Je me risquerais à l’explication suivante qu’un choc est pour moi immédiatement suivi du désir de l’expliquer. J’ai l’impression d’avoir reçu un coup, mais ce n’est pas, contrairement à ce que je pensais enfant, un coup lancé par un ennemi caché derrière la ouate du quotidien ; pas seulement en tout cas, car ce coup est accompagné d’une révélation sur l’ordre du monde ; c’est le signe de l’existence de quelque chose de vrai, au-delà des faux-semblants, et je le rends réel en le mettant en mots [3]
[3]
Traduction d’un extrait de Moments of Being de Virginia Woolf…. »
15Nicolas Pierre Boileau analyse par ailleurs :

16

« Virginia Woolf construit donc une théorie des chocs afin de faire face à une réalité qui échappe aux mots : hallucinations, tremblements, sentiment d’une transparence des mots, honte. Son expérience est traumatique dans la mesure où elle ouvre une brèche qui doit être colmatée par des mots, même si ces mots n’y suffisent pas. Ce trou de l’expérience peut être bordé par l’activité artistique et la multiplication des récits. »
(Boileau, 2011, p. 96)
17Je partage aussi le point de vue de Nicolas Pierre Boileau lorsqu’il met en garde contre l’idéalisation de l’écriture tout en montrant à la fois sa nécessité et son intérêt pour un certain dénouement du trauma mais en même temps son achoppement sur le réel de l’expérience du trauma :

18

« Ce qui me paraît primordial c’est que la théorie woolfienne précède les théories actuelles sur le traumatisme et la nécessité de l’exprimer. Ainsi peut-elle comprendre qu’il y a un reste qu’elle ne pourra jamais que border, grâce, pour elle, à l’écriture artistique… Ce n’est pas tant l’écriture du trauma qui est impossible que le trauma lui-même car il n’existe que d’être construit par le sujet. […] Contre l’injonction à dire toute la vérité, seule voie par laquelle la victime peut espérer un salut selon une certaine critique, Virginia Woolf montre comment l’écriture peut achopper sur le réel de l’expérience. »
19L’analyse des histoires de vie de Rebecca et d’Audrey, victimes d’un viol, permet d’affiner les conditions d’émergence de l’écriture ainsi que sa fonction.

Les écrits fiction de Rebecca et le retour du refoulé
20Rebecca n’a pas porté plainte au moment des faits. Elle a été violée sous menace d’un revolver alors qu’elle faisait du stop pendant l’été entre deux villes du sud de la France. Elle avait vingt ans et lors de l’interview, quarante ans plus tard, elle s’aperçoit qu’elle a refoulé l’événement – elle utilisera le mot « étouffer » – et pour elle, l’écriture, comme les rêves et les cauchemars, vont permettre ce retour du refoulé. Des signifiants liés au viol vécu à vingt ans vont resurgir beaucoup plus tard et à plusieurs reprises via des textes de fiction. C’est aussi le prétexte qui a permis à Rebecca d’accepter ma demande d’interview et un long travail d’interprétation de son histoire. Lors du bilan final d’analyse des différents entretiens que nous avons eus ensemble elle dit :

21

« Cet événement que j’avais oublié – sauf qu’il revenait sporadiquement dans mes écrits – c’est un événement traumatique. Je l’ai accepté maintenant comme ça alors que je pense que cela a énormément influencé ma vie sexuelle et amoureuse et puis c’est vrai que je ne l’avais pas beaucoup travaillé en analyse. Ce travail qu’on a fait ensemble, ça l’a mis à sa place, ça lui a redonné une place consciente. Je fais maintenant le lien avec les déboires amoureux… L’écriture me fait renouer avec l’émotion et par le même mouvement d’en prendre la distance… reprendre contact avec l’émotion, permettre une distance, le lire à autrui, le rendre social et puis… mentir aussi, mentir sur l’événement, parce que ce n’est pas exactement ça ce qui s’est passé… garder un petit peu caché… J’aurais envie de dire que les textes qui sont apparus, sont le retour du refoulé… À chaque fois que j’ai eu ce retour du refoulé dans l’écriture, je me suis dit : Tiens ce n’est pas exactement comme ça que ça s’est passé. Est-ce que je pourrais arriver à le dire aux autres, sans leur faire de mal ».
22Rebecca dira lors de l’interview finale qu’elle aimerait tenter d’écrire de manière plus réaliste. Elle pourrait le faire, dit-elle, pour alimenter mon travail, pour son groupe d’écriture, pour son compagnon actuel. Rebecca parle aussi de ce puissant refoulement, d’une sorte de déni. À propos des effets de cette expérience du viol, elle fait le lien avec des moments de dissociation, mais surtout de sidération où « elle n’a plus de mots ». Elle reste sidérée, muette. Dans l’interview, elle fait alors le lien avec la violence familiale dans son enfance et à différents moments de sa vie où elle s’est sentie niée, où elle s’est sentie objet. Son nouveau prénom Rebecca (au début de sa vie, elle s’appelle Marie Jeanne), marquant sa nouvelle identité juive, fait partie intégrante du processus de reconstruction après le viol et lui a permis de s’arrimer au trauma collectif des juifs de la shoah, au processus de destruction et de renaissance. Dans une lettre qui m’est adressée entre deux interviews, elle écrit :

23

« Le travail “Au-delà de la dialectique des silences, se reconstruire après un viol” me parle beaucoup. Surtout ce ressenti de dépersonnalisation dont tu parles et qui a été au centre de ma reconstruction en une “autre”moi, Rebecca, une identité non seulement riche d’une histoire personnelle (exprimer ma propre judéité) mais d’une histoire biblique inscrite dans le Livre et marquée par les souffrances et la pulsion de vie du peuple juif, tant de fois au bord de l’anéantissement mais qui a toujours su renaître (comme le phénix). C’est vrai que je me suis souvent posée la question de comment écrire ce viol (le mien) pour qu’il soit à la fois “dicible” et “lisable”, la crainte de me faire du mal en “disant” et de faire du mal aux autres qui “liraient”cette horreur. Je pense que toutes ces années j’ai choisi la fuite, la “tangente”, l’oubli, voire la banalisation… j’ai été violée mais j’ai sauvé ma vie, une façon de valoriser ma capacité à affronter une situation extrême. ».
24Rebecca m’enverra par la suite plusieurs textes où il est question de manière métaphorisée et sous une forme fictionnelle de son histoire de viol.

Audrey, l’écriture comme moyen de reconstruction et de combat
25Audrey est agressée dans un parking par un violeur en série en 1994. Elle est l’auteure de plusieurs documentaires sur le viol et d’un livre intitulé Le viol (Le Boulaire, 2002). Elle y raconte sa propre histoire et en parallèle l’histoire des autres victimes du même violeur. J’analyserai l’émergence de cette écriture, peu de temps après le procès, faisant suite à une période de déni de quatre ans. Le livre va servir à la fois de contenant à sa détresse, de mise en ordre de l’histoire du viol et de sa confrontations avec la police, l’hôpital, la justice. Il contribuera aussi à sa reconstruction professionnelle et deviendra le point de départ, l’outil d’un combat politique de lutte en défense des victimes via l’association de protection et d’actions contre les crimes sexuels (apacs). Audrey s’exprime à ma demande sur son expérience d’écriture :

26

« J’ai voulu l’écrire avec du recul comme j’avais fait ma thérapie. C’est-à-dire me remettre à chaque fois dans l’émotion que ça m’avait procurée et ça a été terrible. J’ai vécu au fond de mon lit avec l’ordinateur sur les genoux, à écrire, à chialer, dormir. C’était difficile à chaque fois… »
27Au moment où elle écrit, Audrey a une vision des lecteurs imaginaires. Son idée, son message était : « Soyons utiles aux autres et donnons de l’espoir. Il faut que ce soit lu par les policiers qui ne savent pas comment faire et par des victimes qui vont se dire qu’il y a de l’espoir ». Elle participera ensuite effectivement à plusieurs formations de policiers.

28La première partie du livre, se terminant par le procès, a été très difficile à écrire, précise Audrey :

29

« En même temps, ça été salvateur de le faire, je n’avais pas l’impression de le faire pour moi mais de le faire pour les autres… Quand je l’ai fini, quand il a été lu, qu’il a été publié, je me suis rendu compte que je l’avais fait aussi pour moi et je suis tombée enceinte trois semaines après. Pour moi, c’était évident que le livre était une façon de tourner la page. Cette histoire est la mienne, fait partie de mon passé. J’ai maintenant le droit d’être heureuse, d’être une maman. ».
30Audrey fait de son passé une mémoire, des paroles et des écrits qui peuvent circuler. Par ailleurs, Emeline Caret, à propos de son expérience clinique de patients ayant vécu un événement traumatique, écrit :

31

« Je développerai ici deux destins psychiques possibles de l’évènement traumatique, précisant ici qu’il y aurait peut-être d’autres destins possibles à développer. Dans le premier l’évènement traumatique est totalement refoulé ; dans le second il y aurait un impossible refoulement… Il y a d’autres patients qui peuvent parler de l’évènement traumatique d’une façon très précise comme s’ils étaient face à un impossible oubli. »
(Caret, 2011)
32Audrey me semble se situer du côté de la persistance et de l’obligation de ne pas oublier, pour soi et encore plus pour les autres. Son combat au sein d’une association contre la récidive en est le témoin. Aujourd’hui, lors des entretiens réalisés dix ans après les premiers, son chemin de reconstruction passe aussi par le désir de se situer ailleurs, de faire autre chose, d’autres films que ceux autour du viol. Elle a écrit un livre, réalisé trois documentaires, créé une association de victimes. Elle se donne la possibilité de « lâcher », de ne pas répondre oui à toutes les sollicitations qu’entraînent ce long engagement et combat :

33

« Je ne veux pas trop faire d’accompagnement de victimes parce que ça te bouffe une énergie formidable qui peut servir à autre chose. Ce que je veux faire maintenant serait une émission pédagogique, sur comment fonctionnent les victimes, ce qu’elles ressentent. Il y a un intérêt pour faire cette émission. J’ai réussi à peser le pour et le contre. Avant je fonçais, maintenant j’essaie d’être à l’écoute. »
34Le destin psychique du trauma, qu’il soit refoulé ou qu’il soit au contraire sous la forme d’un impossible oubli, produit des écrits fondateurs et reconstructeurs. Mais, pour qu’il y ait processus de soulagement de la souffrance, soutien et sens sont requis, nous dit Boris Cyrulnik : « Soutien et sens, les deux mots clés de la résilience sont en marche. » (2010, p. 156) Néanmoins, la courbe descendante de l’intensité de la douleur n’est pas inéluctable. Les histoires de Primo Levi et de Germaine Tillon sont éclairantes à ce sujet et mettent en valeur la condition de réception de ces témoignages écrits. La représentation d’un malheur passé prend une courbe descendante quand on en fait un engagement social. Germaine Tillon et Geneviève de Gaulle, internées ensemble au camp de Ravensbrück, n’ont jamais eu honte de leur internement. Pour Primo Levi, le temps et son travail au long cours de témoignage n’ont pas suffi à arranger les choses.

35

« La honte, le retour du passé entretenu par sa contrainte à témoigner, le surgissement du négationnisme qui disqualifiait le sens de ses efforts – ça ne change rien au résultat – avaient empêché la descente de la courbe de la souffrance. Germaine Tillon, fière d’avoir surmonté l’épreuve de Ravensbrück, a maitrisé son engagement. Primo Levi, honteux d’avoir survécu à Auschwitz, s’est engagé dans une carrière de témoin qui a entretenu sa blessure, jusqu’au moment où le négationnisme a transformé sa souffrance en non-sens. »
(Cyrulnik, Ibid., p. 159)
36Au-delà de l’affirmation abrupte de Boris Cyrulnik, cette réflexion m’aide à penser les risques à la fois de l’écriture comme témoignage et comme engagement sans limite. Dans le cas d’Audrey, son implication très importante pourrait à terme devenir un fardeau. Consciente de cet aspect, elle affirme par ailleurs vouloir travailler en tant que réalisatrice sur d’autres thèmes. Après trois documentaires et un livre, on peut penser que cela puisse être important voire vital pour elle.

L’écriture : un moyen accessible à tous ?
37Rebecca et Audrey possédaient déjà un capital culturel et symbolique assez élevé et elles ont pu s’autoriser à écrire. Et comme l’a écrit le sociologue Bernard Lahire, « pour oser écrire, il faut déjà être quelqu’un » (2007). Notre expérience des séminaires récits de vie et écriture nous confirme dans l’hypothèse des déterminants sociaux et des habitus culturels dans l’accès à l’écriture [4]
[4]
Le Séminaire Récits de vie et écriture a été créé en 2005 par…. L’hypothèse centrale du séminaire est en effet que la capacité à écrire son histoire obéit moins à des capacités « naturelles » qu’à des dimensions imaginaires dans lesquelles les « autorisations symboliques » implicites ou explicites se trouvent héritées dans l’histoire familiale ou transmises à l’occasion de rencontres ayant pu faire sens pour le sujet. Nous y explorons particulièrement dans l’histoire familiale et dans les trajectoires de vie qui sont ces « détenteurs du pouvoir d’écrire » et qui autoriseraient, interdiraient ou rendraient difficile l’accès à l’écriture. Par ailleurs, ma propre expérience de l’écriture corrobore cette hypothèse. Il m’a fallu de longues années pour m’autoriser à écrire, pour oser montrer mes textes. Dans un article récent intitulé « Un cri muet qui me protège » (2011), j’ai déplié cette idée :

« Au commencement de ce texte, j’ai parlé de nécessité, de sacré, mais aussi d’empêchements. Je voudrais insister sur ces fameux empêchements car à la honte du viol s’ajoutait la honte des mots, de mes mots, sortis boueux tout droit de mon terroir de l’ouest de la France, “des ventres à choux” comme on disait dans mon enfance. Quel était ce mépris, cette forme de honte sociale ? Je n’aurais pas droit à l’Écriture, à la belle écriture, celle que ma mère exhibait dans sa minuscule bibliothèque avec sa collection de romans russes, des livres de cuir rouge incrusté de filets d’or. On pouvait l’admirer, on avait le droit de les sortir, de les lire, et de les remettre précieusement derrière la vitre qui les protégeait de la poussière. Ma mère, couturière, fille de cuisinière pour notables, avait été empêchée de lire par sa propre mère : du temps inutile et de la débauche. Ma mère au moins n’avait pas reproduit ces empêchements à la lecture mais comment s’arroger le droit d’écrire ? Impensable pour moi d’écrire. Alors que faire de la nécessité, du désir d’écrire, que faire avec ces mots qui manquaient d’élégance, de style ? Dans mes phrases, il y aurait eu des “amphigouris”. Ce mot je ne l’avais jamais vu, ni lu. Ce mot “amphigouri” était là, dans un article de Télérama, écrit par un éditeur qui se plaignait d’être, aujourd’hui en France, submergé par ces “soi-disant auteurs formés aux ateliers d’écriture”, ceux du tout-venant. Tout le monde se croit écrivain alors “je n’allais pas péter plus haut que mon cul”, moi, la fille de cette génération de femmes du peuple… »
Alors si l’écriture de l’événement traumatique peut bien constituer un processus de subjectivation, de reprise en main de soi, de bordage du réel traumatique, un contenant des angoisses face à la confrontation à la mort, à l’effroi de la violence, il n’est pas accessible à toutes les victimes. D’autres méthodes de narration et de dénouement du trauma sont possibles.
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Re: Urgent, c'est le tournant de ma vie

Message par Dubreuil »

TDAH et TOP en burnt out
Message par Fugen » 17 janv. 2023, 23:19
https://www.tdah-france.fr/
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Re: Urgent, c'est le tournant de ma vie

Message par Dubreuil »

La THERAPIE HUMANISTE
( ou l'hypnose humaniste )
*** Cette hypnose n'a ABSOLUMENT rien à voir avec les séances que l'on regarde à la télé

En l'espace de quelques années seulement, l'hypnose thérapeutique a gagné ses lettres de noblesse. Désormais bienvenue dans les hôpitaux et les maternités (où on l'utilise pour lutter contre la douleur, par exemple), les patients font également appel à elle en complément de traitements allopathiques, dans le cadre de certaines pathologies : fibromyalgies, cancer, sclérose en plaques...
Si l'hypnose thérapeutique la plus connue reste l'hypnose ericksonienne (du nom de son fondateur, Milton H. Erickson), des « variantes » existent : c'est le cas de l'hypnose humaniste.

1-Pendant une séance, ON EST 100 % REVEILLE
C'est « la » différence principale qui existe entre l'hypnose ericksonienne et l'hypnose humaniste : pendant une séance d'hypnose humaniste, la personne reste 100 % consciente. On parle même de « conscience augmentée » !
« Les fondateurs de l'hypnose humaniste ont fait une expérience très simple, raconte Louis Monnier. Ils ont essayé de « réveiller » une personne se trouvant déjà dans un état « normal » (ou « état ordinaire de conscience »), en utilisant les techniques habituellement employées en hypnose ericksonienne. » Surprise : la personne est entrée dans un état de transe un peu différent, caractérisé par une conscience d'elle-même plus importante.
« Concrètement, alors que pendant la transe ericksonienne, on se sent un peu pâteux, un peu engourdi, pendant une transe humaniste, on se sent au contraire en pleine forme. Comme si on venait de se réveiller ! »

2 - On peut travailler sur tous les problèmes... ou presque
« L'objectif de l'hypnose humaniste, c'est surtout de stimuler les mécanismes d'auto-guérison du corps, de l'âme et de l'esprit. De comprendre tous les « nœuds » qui nous empêchent de fonctionner correctement, puis de les démêler »
Bien sûr, l'hypnose humaniste ne traite pas les problèmes mécaniques (fractures, arthrose, ostéoporose, tendinite, maladie virale...). En revanche, elle peut soulager la douleur et même aider à renforcer les défenses immunitaires de l'organisme pour favoriser la guérison. « On utilise aussi l'hypnose humaniste pour le développement personnel et le coaching professionnel : c'est une approche thérapeutique qui permet de mieux gérer ses émotions et son comportement. » Ou encore de trouver l'amour, de réussir sa carrière, de résoudre un conflit familial...
Cependant, l'hypnothérapeute précise quand même que « l'hypnose ne se substitue à aucun avis ni traitement médical. Les traitements en cours ne peuvent et ne doivent être suspendus que sur recommandation expresse du corps médical, même si vous constatez une amélioration au cours ou après vos séances d'hypnose. Les troubles psychologiques graves relèvent du domaine de la psychiatrie et ne peuvent, en aucun cas, être traités par l'hypnose. »

3 - « Les symboles, c'est le langage de notre inconscient ». C'est là qu'intervient l'anamnèse : cette longue discussion préliminaire permet à la personne de bien comprendre le contexte de sa problématique, afin de pouvoir se la représenter de façon symbolique pendant la phase d'hypnose. En clair, il s'agit de répondre à la question : « votre mal-être, vous le décririez comment ? » Ça peut être une boule noire, des piquants, une flamme brûlante... « C'est exactement la même chose que dans les contes de fées : le loup représente le masculin sauvage, par exemple. En langage symbolique, cela traduit une peur, une blessure... »
Ensuite, l'hypnothérapeute réutilise ces symboles pour nous permettre de communiquer avec notre « moi intérieur » : il s'agit alors de modifier (de « soigner ») ces représentations intérieures pour aller mieux... en profondeur !

4 - C'est le patient qui fait tout le travail
« Lorsque vous faites une séance d'hypnose ericksonienne, vous laissez les clés de votre inconscient à l'hypnothérapeute : vous êtes plutôt passif.
En hypnose humaniste, c'est l'inverse : c'est vous qui agissez. L'hypnothérapeute n'est qu'un guide, chargé de vous ouvrir les portes de votre esprit. »
Concrètement, c'est un peu comme un voyage intérieur : par la parole, l'hypnothérapeute guide la personne dans différents environnements imaginaires et symboliques, mais c'est cette dernière qui va réaliser mentalement certaines actions pour résoudre son problème.
Mieux encore : après 1 ou 2 séances, la personne peut réutiliser ce qu'elle a appris pour continuer à changer par elle-même. C'est l'autohypnose !

5 - Ça se rapproche de la méditation de pleine conscience
« L'état de conscience augmentée que l'on atteint lors d'une séance d'hypnose humaniste est proche de celui que l'on expérimente pendant une séance de méditation de pleine conscience ».
L'objectif n°1 de l'hypnose humaniste est d'amener la personne à prendre conscience d'elle-même, en lui permettant de communiquer avec son inconscient et sa conscience supérieure (ou conscience majuscule)
D'après Louis Monnier, « notre esprit, notre corps est comparable à une maison. Quand on ne la regarde pas, le temps fait son œuvre : elle se fissure, se ternit. En revanche, il suffit de porter son attention sur cette maison, en conscience, pour qu'elle commence à s'auto-réparer ».
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Re: Urgent, c'est le tournant de ma vie

Message par Dubreuil »

Re: Maturation masculine
Message non lu par comment » 04 août 2021, 14:53

Il ne faut pas confondre la pornographie et la réalité.

La pornographie est à la fois un produit culturel (Donc de l'art comme peut l'être la musique , cinéma , peinture etc... ainsi qu'un genre comme les films d'actions qui sont un genre de film par exemple. Le porno est un genre à part entière dans chaque art où il est présent) et un produit pour exciter le spectateur (En général c'est un des objectifs sauf pour certaines niches particulières où le but n'est pas d'exciter le spectateur mais c'est rare).

Dans les films pornos il y a des choses qui n'ont rien en commun avec la vie sexuelle de la plupart des gens.
Par exemple on peut souvent voir des hommes cisgenres pratiquant une double pénétration sur une femme cisgenre.
Dans la vie réelle ce genre de pratique est pratiqué régulièrement par moins de 1% de la population mondiale à ma connaissance.

Selon ce que j'ai lu dans des témoignages d'acteurs , actrices et réalisateurs. Les actrices pornographiques (La plupart d'entre-elles) suivent une préparation pour les scènes de double pénétration consistant notamment en un lavement anale (Pour éviter que des excréments en sorte et que ça gâche la scène selon les critères des réalisateurs et qu'il failler couper le tournage puis reprendre).
Il faut savoir que la plupart des scènes de films pornos sont souvent des scènes constituées de plusieurs images d'un même tournage pris à des moments différents. Ce n'est donc pas une relation sexuelle ayant lieu en une seule fois même si ce qui apparaît à l'écran nous donne cette illusion.

Le métier d'acteur/actrice porno consiste à avoir une relation sexuelle derrière des caméras et des perchistes (Parfois il y en a. Un perchiste est un type avec une perche avec un micro au bout pour capter le son) et autres techniciens (Il peut y avoir d'autres techniciens sur les tournages comme des éclairagistes) tout en simulant le plaisir et de s'arrêter quand le réalisateur le demande (Par exemple pour mettre plus de lumière) tout en ne bougeant pas pendant l'ajustement de la scène avant de reprendre.
J'ai lu des témoignages d'actrices se plaignant de douleurs pendant les tournages parce qu'elles devaient attendre avec des acteurs ne bougeant pas leurs organes masculins pendant l'ajustement de la scène qui peut prendre plusieurs minutes.

Il faut savoir que pour les scènes d'éjaculation il arrive que les acteurs aient recours à du faux sperme pour que l'on croît qu'ils éjaculent plus que ce qu'ils éjaculent vraiment (Il peut aussi arriver que l'acteur n'éjacule pas vraiment à la fin parce qu'il a éjaculé avant la fin du tournage de la scène et qu'il n'arrive plus à éjaculer quand le réalisateur le demande).
L'une des techniques est d'utiliser une pompe caché derrière le pénis au moment de l'éjac et que le spectateur derrière l'écran ne remarque rien.

Je te dis tout ça pour bien t'expliquer que la majorité des films pornos n'ont aucun rapport avec la réalité et que ça ne doit pas être vu comme un manuel pour la sexualité mais comme de la fiction.
Quand un type dans un film d'action tire sur un autre individu et blesse un autre personnage. Est-ce réel ? Non , c'est de la fiction.
Quand deux individus dans un film pornographique font des choses pendant 20 minutes sans s'arrêter. Est-ce réel ? Non , c'est de la fiction à cause du montage même si les actes sexuelles sont réels.

J'ai lu des témoignages disant que les acteurs et actrices ne prennent pas de plaisir sexuelle durant les scènes (En général) à cause des réalisateurs disant "coupé" en plein tournage , ne pas bouger pendant les coupures , reprendre à la fin de la coupure , simuler le plaisir , positions imposés qui souvent ne sont pas naturels comme l'acteur devant bouger une jambe pour que l'on voit mieux la pénétration même si la position est inconfortable etc...

Mon intention n'est pas de te dire que le porno c'est mal ou que c'est bien. Mon objectif est de te faire comprendre qu'il faut prendre du recul sur que les images te montre au vu des techniques de trucage utilisé comme le fait que les scènes sont montés et que par conséquent ce que l'on voit n'est pas la réalité.

Je pourrais te dire qu'à 16 ans tu ne devrais pas en regarder mais ce serait ridicule parce que rien ne t'empêcherait de le faire si je te disais de ne pas le faire.
De plus tu en a déjà vu et ce serait donc encore plus ridicule de dire ça.

Je veux seulement que tu saches que je pense qu'il faut que tu comprennes que le porno n'est pas la réalité au même titre que les autres fictions.
Je souhaite aussi que tu parviennes à ne pas te mettre la pression et vivre ta vie sexuelle (Si tel est ton intention. Rien ne t'oblige à te masturber ou / et avoir des relations sexuelles. C'est à toi seul de décider si oui ou non ça t'intéresse et sache que l’asexualité existe et qu'il y a des asexuels heureux. La sexualité ou l’absence de celle-ci n'est pas une obligation même si la pression sociale peut être présente. Tu es le maître de ta vie à ce niveau là) sans te comparer aux autres.
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LA PEUR D'ETRE HEUREUX

On dit que la tristesse peut être addictive, mais est-il possible d'avoir peur d'être heureux ? Certains psychologues et scientifiques ont catalogué ce trouble comme chérophobie, une nouvelle et étrange phobie qui nous empêche d'accéder au bonheur.

La chérophobie peut se définir comme la peur inexplicable qu'ont certaines personnes à atteindre un état positif. Ce concept de "peur d'être heureux" peut être difficile à comprendre pour certains, mais il semble que les patients fuient toutes les pensées positives qui pourraient les faire se sentir mieux. Ceci pourrait avoir plusieurs explications.

Nous sommes chaque jour soumis à de multiples situations de stress dans le cercle familial, professionnel ou autre, réduisant petit à petit tout notre espace de bien-être. Les chérophobiques ne craignent par la sensation de félicité en tant que telle, mais ont plutôt peur de ressentir du bonheur puis de tout perdre. Il s'agit d'une préoccupation extrême de ce qu'il pourrait arriver de pire, en pensant que le bonheur n'est que l'antichambre de quelque chose de négatif. Comme si le fait d’un bonheur impliquait forcément un prix à payer. Ces personnes n’ont pas conscience des ressources qu’elles possèdent pour parvenir à trouver des solutions s’elles devaient faire face à l’adversité. En conservant des émotions négatives, elles se préparent à toutes éventualités de façon à ne pas tomber de haut. Inconsciemment le risque est une déstabilisation psychique qui pourrait toucher à l’estime de soi. Pour conserver cette harmonie, elles choisissent de garder le contrôle en vivant des émotions plutôt négatives qui les préparent à faire face aux aléas de la vie.


Comme le signalent certains experts, une vision plus réaliste de la vie n'implique pas forcément plus de pessimisme. Parfois, nous devons reconnaître que nous allons mieux que ce que nous pensons et partager ce bonheur avec les autres pour créer un climat agréable. Ainsi, on peut apprendre à perdre cette peur d'être heureux.

Stephanie Yeboah, blogueuse atteinte de chérophobie, précise dans une interview accordée à Metro :
"La peur d'être heureux ne signifie pas nécessairement qu'on est constamment triste. Dans mon cas, la chérophobie est née d'évènements traumatiques. Des choses comme célébrer un succès, dépasser une tâche difficile ou avoir un nouveau client me mettent mal à l'aise".

Quels sont les symptômes de la chérophobie ?
En règle générale, les personnes introverties ou perfectionnistes ont plus de risques de souffrir de cette étrange phobie. Dans le cas des personnes introverties, elles préfèrent se centrer sur des activités individuelles et peuvent se sentir intimidées en groupe, alors que les perfectionnistes tendent à concevoir le bonheur comme un trait propres aux personnes paresseuses ou non productives.

Certains chercheurs mettent en relation la peur d'être heureux à des troubles mentaux. Dans ce sens, les patients qui souffrent de dépression peuvent vivre ce type de rejet des émotions positives. Le Manuel Diagnostique et Statistique des Troubles Mentaux (DSM) ne reconnaît pas la chérophobie comme un trouble en tant que tel, mais certains experts en santé mettent en avant les symptômes principaux de la peur d'être heureux :
Anxiété à l'idée d'une réunion sociale joyeuse, comme un concert ou une fête
Rejet des opportunités pouvant conduire à des changements positifs

Existe-t-il un traitement ?
Si vous présentez ces symptômes et que vous souhaitez que cela change, vous devez savoir qu'il existe une série de traitements suggérés pour dépasser ce trouble. Ces traitements n'incluent pas de médications ou de processus spécifiques, mais sont efficaces à moyen et long terme.

Les thérapies cognitivo-comportementales (TCC)
Les TCC enseignent au patient à reconnaître les pensées négatives qui l'amènent à des conclusions peu utiles. Dans le cas de la chérophobie, ces pensées peuvent être de type "je sens que je ne mérite pas d'être heureux(se)", "quand quelqu'un se sent bien il baisse la garde" ou "si je suis heureux il se passera forcément quelque chose qui ruinera tout". La TCC a pour objectif ultime l'élimination de ces cycles de pensées.

La relaxation
Les exercices de relaxation peuvent aider le patient ou la patiente à comprendre que la sensation de bien-être n'est pas forcément suivie d'un évènement négatif. Des exercices tels que la respiration profonde, l'hypnothérapie ou tenir un journal peuvent aider la personne à dépasser sa phobie.

L'exposition à des évènements heureux
De la même façon que la relaxation, l'exposition continue à des évènements que la majorité des gens considère comme "divertissants" ou "heureux" peut aider le patient à comprendre qu'il n'y a pas toujours un revers de la médaille aux émotions positives.

Frédérique Le Ridant — 22 Novembre 2019
Il est extrêmement regrettable que la psychothérapie analytique et la psychanalyse soient systematiquement écartées des possibilités thérapeutiques proposees. Heureusement que les personnes en souffrance ne s'inspirent que très rarement des divers articles publiés sur ce site. Ce parti pris est surprenant de la part d'auteurs qui se veulent objectifs. La peur d'être heureux ou de ressentir du plaisir, est en lien direct avec l'enfance vécue, le roman familial, les liens tissés et leur solidité (ou non), c'est une peur dont il faut aller chercher les indices, les signes nichés au creux de l'inconscient et les faire émerger afin de permettre leur élaboration et ainsi leur donner du sens. Leur autoriser une re-connaissance. On est toujours plus fort lorsqu'on connaît son adversaire. Nous sommes dans ce cadre évidemment très loin du "tout tout de suite" et de la solution miracle... la guérison clé en main... L'apaisement minute... Et forcément la rechute à brève échéance. On ne peut pas faire l'impasse sur notre inconscient : il nous rattrapera toujours au détour d'une angoisse ou de son évitement.
Frédérique Le Ridant Psychanalyste
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LE SYNDROME DE HUBRIS

Le syndrome d'Hubris est un trouble de la personnalité, non une maladie mentale. "Hubris" (ou "hybris") en grec ancien signifiait "démesure" et en anglais "Orgueil". Ce syndrome est inextricablement lié au pouvoir, c'est une condition préalable. Quand le pouvoir passe, le syndrome s'atténue. Une personnalité "hubristique" est particulièrement courante chez les chefs de gouvernement. En psychanalyse, on parle de "syndrome d'hubris" lorsqu'une personne fait preuve de "narcissisme, d'arrogance, de prétention, d'égotisme, voire de manipulation, de mensonge et de mépris" en réaction à son pouvoir. Cette personne a le sentiment d'être invulnérable et d'avoir la toute-puissance. "La personne dépasse les limites de l'admissible dans la perception d'elle-même et dans le rapport aux autres. Il y a une surestimation de soi et une sous-estimation permanente des autres. Dans la notion d'hubris, dans la mythologie grecque, il y a aussi toujours la notion de violence, c'est un retour archaïque à la violence brute, à une puissance uniquement destructrice qui dépasse ce dont les humains devraient se contenter" nous explique le Dr Bertrand Gilot, psychiatre.

Quels sont les symptômes du syndrome d'Hubris ?
Plusieurs symptômes comportementaux sont associés au syndrome d'Hubris. Selon le médecin et ancien ministre anglais David Owen, il faut en présenter au moins trois ou quatre de la liste suivante pour être considéré comme atteint de ce syndrome :

Propension narcissique à voir le monde comme arène où exercer son pouvoir et rechercher la gloire
Prédisposition à engager des actions susceptibles de se présenter sous un jour favorable, c'est-à-dire pour embellir son image
Attrait démesuré pour l'image et l'apparence
Manière messianique de parler de ce que l'on fait avec une tendance à l'exaltation dans la parole et les manières
Identification de soi-même à la nation dans la mesure où les perspectives et intérêts des deux sont identiques.
Tendance à parler de soi à la troisième personne ou à utiliser le "nous"
Confiance excessive en son propre jugement et mépris pour les conseils ou critiques d'autrui.
Confiance en soi exagérée, à la limite d'un sentiment de toute-puissance, dans ce qu'ils peuvent réaliser personnellement.
Conviction qu'au lieu d'être responsable devant l'opinion publique, le seul tribunal auquel il devra répondre sera celui de l'histoire souvent accompagnée d'une conviction inébranlable que dans ce tribunal on leur donnera raison
Agitation, insouciance et impulsivité.
Perte de contact avec la réalité, souvent associée à un isolement progressif
Tendance à accorder de l'importance à sa "vision", à son choix, ce qui évite de prendre en considération les aspects pratiques ou d'évaluer les coûts et les conséquences indésirables.
Incompétence, lorsque les choses tournent mal parce qu'une confiance en soi excessive a conduit le leader à négliger les rouages habituels de la politique, du droit.
Les symptômes s'atténuent généralement lorsque la personne n'exerce plus de pouvoir. Il est moins susceptible de se développer chez les personnes modestes, ouvertes à la critique, qui ont un certain cynisme ou un sens de l'humour bien développé.

"On a bien souvent à faire à des grands paranoïaques et/ou à des grands pervers"

Quelles sont les caractéristiques d'une personne atteinte du syndrome d'Hubris ?
"Si on rattache ce syndrome à ce que l'on observe chez des humains qui ont eu beaucoup de pouvoir et qui l'ont exercé de façon tyrannique, on a bien souvent à faire à des grands paranoïaques et/ou à des grands pervers", poursuit le psychiatre. Le paranoïaque "plus souvent un homme" est celui dont on entend parler dans les faits divers : l'homme persuadé que son voisin fait des choses exprès pour lui nuire, qui va en parler à tout le monde, et qui, en voyant que personne ne le prend au sérieux, finit par tuer son voisin et se suicider derrière. Il ne se remet jamais en cause. "Ce sont des gens qui raisonnent de façon juste, structurée mais dont le raisonnement repose sur un postulat de départ qui est faux. On observe la même logique chez les tyrans. Hitler, Staline... Ce sont des gens intimement persuadés d'avoir raison au départ et qui vont mettre toute leur puissance au service de cette certitude d'avoir raison. Toute personne qui va s'opposer, contester ou même juste questionner cette certitude va être située dans ses ennemis." S'ajoutent parfois les caractéristiques du pervers : "Le pervers ne considère pas l'autre en tant qu'autre, l'autre n'existe qu'en tant qu'outil ou objet que l'on va pouvoir utiliser ou abîmer si on en a envie." L'autre est perçu comme une extension de soi-même dont on peut faire ce que l'on veut, il n'est pas perçu comme un être à part entière.

Il n'y a aucune place pour l'échec, le doute ou la nuance.
"Qu'il s'agisse d'un mari violent, d'un chef d'entreprise mégalomane ou d'un chef d'état militariste, ce sont des personnalités extrêmement dangereuses pour autrui et d'une immense fragilité" poursuit le Dr Gilot. La personne qui a un profil "hubristique" ne laisse aucune place à l'échec, au doute, à la nuance : "Tout est extrêmement brutal et en cas de confrontation à leur échec c'est généralement le suicide, le suicide violent, qui survient. Eventuellement en semant la destruction autour d'eux avant de se suicider. Cette position de toute-puissance est là pour se défendre d'une réalité qui est l'impuissance."

Quelles sont les personnalités atteintes du syndrome d'Hubris ?
Le syndrome d'Hubris est particulièrement courant chez les chefs de gouvernement mais il peut toucher n'importe quelle autre personne dans la vie privée, au travail... et se manifester à n'importe quel âge. Dans son livre "In Sickness and in power", le médecin anglais David Owen considère que les quatre chefs de gouvernement suivants ont développé ce syndrome de l'orgueil : Lloyd George, Margaret Thatcher, George W. Bush et Tony Blair.
En mars 2022, des médecins qui ont observé l'attitude du président russe Vladimir Poutine, en guerre contre l'Ukraine, estime qu'il en est atteint.

Existe-t-il des traitements contre le syndrome d'Hubris ?
Il n'y a pas de traitement au sens "médicamenteux" pour "soigner" un syndrome d'Hubris. Selon le Dr David Owen, les symptômes s'atténuent généralement lorsque la personne n'exerce plus de pouvoir. Il faudrait aussi qu'elle soit entourée de critiques pour contrer son sentiment de "toute puissance" absolue. Mais encore faut-il que cette personne entende ces critiques et qu'elle parvienne à modifier son raisonnement ce qui est rarement le cas.

"Le silence est toujours plus dangereux que la parole."

Que faire face à une personne qui a le syndrome d'Hubris ?
"Il faut s'en éloigner pour s'en protéger" répond d'emblée le Dr Bertrand Gilot. Au travail, le mieux est de quitter son emploi. Dans le couple devenu toxique, c'est la même chose, il faut se séparer de cette personne. "Chaque fois que vous essaierez de raisonner l'autre, vous aurez de toutes façons perdu car ça ne se joue pas dans le dialogue ou alors juste le temps d'imaginer d'autres solutions."
Dans un conflit géopolitique avec une personne assurée de sa toute-puissance et du bien fondé de ses actions -comme on l'observe avec le Président russe en guerre contre l'Ukraine - "il est compliqué d'imaginer un dénouement calme" explique notre interlocuteur. "On est uniquement dans le rapport de force avec un mépris total de l'autre où on est certain d'être victorieux. Il y a une course illusoire, une fuite en avant sans limite. Si le Président russe annexe l'Europe, il lui faudra l'Afrique, puis l'Asie... Or, plus il est victorieux, plus son potentiel de dangerosité augmente". Alors que faire ?

Ne pas réagir et le laisser faire ? "C'est dangereux car la toute puissance est augmentée. Plus il obtient de succès, plus il prend de puissance donc de dangerosité. On a vu avec Hitler ce qui s'est passé. Il y a un besoin psychique de se conforter soi, la démonstration de force envers autrui vise surtout à se rassurer soi-même. Derrière cette grande dangerosité, il y a une immense fragilité interne,. On n'est plus dans une logique rationnelle."
Résister ? S'opposer ? "Si on résiste, il va s'énerver. Si on s'oppose à lui et qu'on le met en échec il va être face à un effondrement de ses certitudes et il peut aussi être d'une violence extrême."
Dialoguer ? "Dialoguer ne sert pas toujours grand chose mais ne pas dialoguer c'est pire. Le silence est toujours plus dangereux que la parole, c'est toujours vrai même face à ce genre de personnalité. On peut espérer que le dialogue instille un tout petit peu de doute, un tout petit peu de nuance. Il ne faut pas espérer que la personne revienne à la raison mais qu'il arrondisse un petit peu certains angles."
Le mettre face à ses échecs pour qu'il passe de la toute-puissance à l'impuissance ? "Etre face à un échec impossible à nier déstabilise mais on ne sait pas de quelles informations réelles il dispose pour évaluer cet échec, on ne peut pas savoir à l'avance le point de bascule entre les deux."

Dr Bertrand Gilot, psychiatre.
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LE DESIR ET LA PERVERSION

Pendant l’année 1965-1966, cinq psychanalystes proches de J. Lacan se réunirent pour soumettre chacun une de leurs communications à la réflexion de leurs confrères et amis. Dès la fin de l’année, le groupe décidait de rassembler ces travaux et de publier les échanges auxquels ils avaient donné lieu à savoir « Etudes des perversions sexuelles à partir du fétichisme » (Guy Rosolato), « Remarques sur la féminité et ses avatars » (Piera Aulagnier-Spairani), « Le couple pervers » (Jean Clavreul), « De l’érotomanie » (François Perrier), et « Le problème anthropologique du fantasme » (Jean-Paul Valabrega).

L’ouvrage fut publié en 1967. La question qui, selon eux, rassemblait le mieux leurs différentes recherches était celle du désir et de la perversion, aussi le recueil fut-il intitulé Le Désir et la perversion. L’ouvrage était devenu inaccessible. La collection Points Essais des éditions du Seuil vient de rééditer ce symposium, remettant ainsi en lumière la vive réflexion du milieu des années 60.

Au commencement était le désaveu

Depuis l’article de Freud sur « Le fétichisme » (1927), c’est le fonctionnement de cette orientation sexuelle qui sert de matrice pour décrire les structures perverses. Pour Freud, chez le fétichiste, la différence sexuelle a fait l’objet d’une « Verleugnung », un « désaveu » dans la traduction française, à distinguer du « refoulement » névrotique (Verdrängung).

Dans son article, G. Rosolato s’intéresse à la spécificité du désaveu, rappelant qu’une « vision traumatique » a précédé ce rejet de la différence sexuelle resté « implicite ». Dans le refoulement névrotique, ce qui est rejeté, c’est l’affect associé à la découverte que la mère n’a pas de pénis, alors que ce qui est « désavoué » dans la structure perverse, c’est le « représentant » (Repräsentanz) de la différence sexuelle. Le terme de Freud – que Lacan traduit par « signifiant » - renvoie à l’idée que la présence du pénis chez l’homme, le fait de son manque chez la femme, se constituent l’un et l’autre par la différence qui les distingue. Au « représentant » de la différence sexuelle qu’il a désavoué, le fétichiste substitue le fétiche sur lequel il déplace son intérêt. En réalité, cette « forme-objet » cache la différence sexuelle tout en la donnant à voir dans le même temps. Le fétichiste oscille donc entre une croyance au « sens » d’un fétiche qui incarnerait la toute-puissance de celui dont il est l’attribut d’un côté, et le dévoilement du leurre de l’autre côté.

Quand G. Rosolato faisait osciller la théorie de désaveu

L’originalité de la thèse de G. Rosolato se perçoit mieux au regard des autres interventions du recueil. J. Clavreul, dans « Le couple pervers », présente le désaveu comme le rejet de la fonction du manque dans le désir. Dans la structure perverse, c’est la « présence » de l’objet qui causerait le désir, écrit-il, alors que G. Rosolato de son côté postule une « oscillation » entre les deux types de relations à l’« objet » du désir. Pour G. Rosolato, le sujet fétichiste « oscillerait » entre les deux interprétations du fétiche qu’il qualifie de « métaphorique » et « métonymique ».

L’« oscillation » de la structure psychique perverse se repère aussi dans la grande instabilité narcissique du sujet. Là où des sujets ayant eu accès au « représentant » de la différence peuvent soutenir l’alternance de l’apparition et de la disparition de l’objet du désir, le fétichiste s’identifie alternativement à ce qui peut causer la pleine érection du désir et à ce qui en suscite l’évanouissement.

L’autre aspect que G. Rosolato met en lumière, ce sont les répercussions du désaveu sur le plan intellectuel et idéologique. Car contester la différence sexuelle, c’est rejeter une « Loi » à la croisée des chemins entre le registre scientifique et le registre moral. Sur ce plan, la réflexion de G. Rosolato est éclairée par celle de J. Clavreul qui signale dans son propre article l’inaptitude du pervers à admettre que, avant la révélation du fait que la mère n’a pas de pénis, il « ne savait pas ». Autrement dit, le sujet structuré par la perversion se démarque par la rigidité d’un savoir inaccessible au démenti des faits.


Ce que les femmes nous apprennent sur la perversion

Reste à savoir si le fétichisme doit rester l’axe privilégié pour penser la perversion. Cette orientation a été celle de la pensée analytique depuis l’article inaugural de Freud, mais G. Rosolato n’en fait pas une vérité constituée. En réunissant les travaux des quatre autres psychanalystes sous le titre Le Désir et la perversion, les auteurs s’autorisent à élargir le périmètre des manifestations perverses pouvant éclairer cette structure psychique. Pour P. Aulagnier, la question de la perversion renvoie à celle de la passion : « toute perversion est une passion », écrit-elle p. 77. Dans la passion en effet, la fonction du manque dans le désir est occultée et le sujet ne doute pas que ce qui cause son désir est « présent » dans l’objet de son désir ; la « féminité » serait à situer selon elle à rebours de cette tentation.

Piera Aulagnier se dissocie des discours convenus sur les différences entre la sexualité des hommes et des femmes – discours où l’on croit d’ailleurs reconnaître les thèses formulées par F. Dolto sur la sexualité féminine. Pour l’auteur de « Remarques sur la féminité et ses avatars », la « féminité » est le nom que l’on peut donner à l’objet qui cause le désir en tant qu’objet manquant. Afin d’accéder à la féminité, la petite fille doit renoncer à présentifier l’objet qui cause le désir et accepter d’entrer dans le jeu de paraître ce qu’elle n’est pas et ce qu’elle n’a pas. Autrement dit, elle a à accepter de jouer un jeu de mascarade.

C’est encore aux femmes que s’intéresse F. Perrier dans sa communication sur l’érotomanie, cet état passionnel qui leur est propre, selon l’auteur. Des trois cas cliniques qu’il rapporte, il ressort à chaque fois que l’assise narcissique de ces femmes est défaillante : elles n’ont pas pu admettre que le « manque » dont elles sont porteuses est l’envers d’un objet dont la présence du pénis n’est que l’avers. Elles ne reconnaissent pas, à ce titre, que le manque dont elles sont porteuses peut être précisément cause d’un désir chez un partenaire. P. Aulagnier commente la communication de F. Perrier : la différence entre la structure perverse du fétichisme et l’érotomanie, c’est que le premier vient combler le manque par le fétiche tandis que dans l’érotomanie, la femme se met elle-même à cette place d’objet ne pouvant faire défaut.

Ce faisant, ces femmes érotomanes ouvrent une série de questions sur le désir et la perversion. Que nous apprennent-elles sur les hommes « de Bien », elles qui élisent si volontiers le médecin comme objet de leur passion ? En ce qui les concerne, sont-elles à situer du côté de la psychose, comme le pense J.-P. Valabrega, ou restent-elles sur une « crête » entre psychose et déséquilibre passionnel comme l’écrit F. Perrier ? Les échanges entre les cinq analystes reflètent parfois des divergences, ils ne prétendent pas les résoudre, et la question de l’érotomanie fait partie des sujets qui resteront ouverts.


Déplacement du fétiche vers l’oeil

C’est un pas de côté que réalise J. Clavreul en se demandant si la structure perverse est compatible avec l’amour. D’ailleurs, n’est-ce pas le pervers qui parle le mieux de l’amour ? Et surtout, d’où vient l’extrême solidité de certains couples pervers ? Telles sont les questions que J. Clavreul choisit de poser, dérangeant un discours très balisé par la théorie du désaveu dans le fétichisme. Pour J. Clavreul, le désaveu ne prend sens que si l’on remet en place les autres repères de la structure perverse. Plus qu’au fétiche, c’est à l’œil de celui qui n’a pas consenti à se reconnaître comme trompé et à désavouer la toute-puissance du garant de son désir qu’il propose de reconnaître une « place problématique ». Car ce qui compte aussi, écrit J. Clavreul, c’est le regard dont l’enfant a été entouré (ou qu’il a perçu) alors qu’il refusait de reconnaître le manque, et tout particulièrement de le concevoir comme « cause » de désir. Aussi cet œil est-il le « vrai partenaire du pervers ». Parce qu’il s’est laissé séduire et fasciner, l’œil prouve que le registre de l’illusion existe, et toute la mascarade du pervers est un jeu où le sujet éprouve que l’illusion existe, quand bien même il n’a pas pu quant à lui donner au « représentant » de la différence sexuelle la même fonction que le névrosé.

Seul l’article de J.-P. Valabrega ne rejoint pas véritablement la question du désir et de la perversion. S’interrogeant sur le fantasme (ou « phantasme » comme il l’écrit), J.-P. Valabrega en appelle à une « anthropologie » de cette construction comparable au mythe. Si l’on peut repérer une loi qui présiderait à la formation du mythe comme à celle du fantasme, ce serait la loi du « retournement ». Ce à quoi J. Clavreul répond en soulignant la différence entre le concept anthropologique du mythe où quelque chose doit être dit, et la notion psychanalytique de fantasme où quelque chose doit être tu. La cure analytique montre en tout cas que les moments où le fantasme peut se retourner sont à la fois des tournants de l’analyse, et des points où surgit l’angoisse, souligne le lecteur critique de J.-P. Valabrega.

1965-1966 : la grande époque de la psychanalyse

Nous sommes en 1965-1966. Les cinq auteurs ont fait partie de la troupe qui a suivi Jacques Lacan lorsque l’Association Psychanalytique Internationale (API) l’a exclu en 1953. Tous les cinq s’étaient associés à la SPP créée par Jacques Lacan en 1953. En 1964, quand D. Lagache, Juliette Favez-Boutonnier et quelques autres créèrent l’Association Psychanalytique de France (APF), une « deuxième scission » a eu lieu. P. Aulganier, J. Clavreul, F. Perrier, et G. Rosolato et J.-P. Valabrega ont de nouveau suivi Lacan et participé à la Fondation de l’Ecole Freudienne de Paris. Mais l’APF a été rejointe par W. Granoff, l’un des trois élèves de J. Lacan qui, aux côtés de S. Leclaire et de F. Perrier, avaient fortement soutenu leur maître en 1953. Peu de temps après G. Rosolato a dénoncé à son tour une « dérive autoritaire » de Lacan et rejoint l’APF dès 1967. Deux ans plus tard, Piera Aulagnier, François Perrier et Jean-Paul Valabrega fonderont le Quatrième Groupe.

Nous sommes en 1965-1966 donc. Les 5 psychanalystes qui se rencontrent sont proches de Lacan par les idées mais s’apprêtent à faire sécession. Les questions de la féminité et de la captation par l’image sont au cœur de leur actualité. W. Granoff et F. Perrier ont présenté leur Conférence sur Le Désir et le féminin cinq ans plus tôt et l’ont publiée en 1964 dans la revue Psychanalyse. L’article de Lacan « Hommage fait à M. Duras du Ravissement de Lol V. Stein » est paru en 1965, et le recueil de ses Ecrits paraîtra en 1966.

Quand le désir de théoriser n’était pas perverti

Que nous apporte aujourd’hui la relecture de ces travaux vieux de 40 ans réunis sous le titre Le Désir et la perversion ? L’assimilation de l’homosexualité à la perversion rappelle parfois la distance qui nous sépare de cette époque. Mais le plus souvent, la rigueur et la prudence avec laquelle ces cinq grands noms de la psychanalyse abordent leurs sujets les préservent des raccourcis et protègent leur pensée d’un vieillissement que l’on aurait pu craindre. Lorsque J. Clavreul parle d’un de ses patients homosexuels, c’est pour dire de lui qu’il « n’est pas un pervers », mais qu’il « a eu indiscutablement une phase perverse infantile ». Relevons aussi que les auteurs nous paraissent affranchis d’une auto-censure sans doute plus pensante cinquante ans plus tard. Mais surtout, le même J. Clavreul montre combien il est éloigné du confusionnisme contemporain lorsqu’il écrit un peu plus loin : « Il me paraît fécond de rapprocher de la problématique perverse ce qu’on observe dans la toxicomanie, particulièrement dans l’alcoolisme ». Combien de fois le « rapprochement » n’a-t-il pas donné lieu depuis à une assimilation entre toxicomanie et perversion, sous des plumes moins rigoureuses que celles de l’auteur du « couple pervers » ?

Bien des notations restent à méditer, telle celle-ci de Jean Clavreul sur la « désubjectivation » du pervers l’exposant au même anonymat que celui auquel confronte le fantasme. On se souvient en effet que le fantasme d’être battu par le père est regardé comme particulièrement éclairant depuis l’analyse qu’en a fait Freud, et qu’il permet de percevoir la tentation de l’anonymat dans le fantasme. Parmi les différents retournements auquel le fantasme de l’enfant battu donne lieu, la formule sous laquelle ce fantasme se fait le plus souvent connaître est traduite par une phrase où le sujet disparaît derrière l’anonymat du passif et du pronom indéfini : « un enfant est battu ».

Entre la prudence dictée par la rigueur et l’audace d’une hypothèse théorique, la voie est étroite. Tandis que J.-P. Valabrega se demande si la question de la passion est « recevable » dans le cadre d’une théorie psychanalytique, P. Aulagnier et F. Perrier s’autorisent à placer cette même passion au cœur de leurs exposés. Sans doute ces travaux sont-ils parfois très techniques et austères (ceux de G. Rosolato en particulier), mais la perversion telle qu’elle est conçue dans cet ouvrage a déjà moins vieilli que le concept flou de « perversion sociale » qu’un courant analytique relie aujourd’hui au capitalisme analysé au travers de l’abondance des « objets » (au sens le plus trivial du terme d’objet). A-t-on oublié que Lacan avait indiqué les précautions à prendre sur ce point en décrivant cette organisation sociétale comme un discours, jamais comme une série de comportements ?

La densité et la concision des travaux de P Aulagnier, J. Clavreul, F. Perrier, G. Rosolato et J.-P. Valabrega, la critique serrée des pairs est un rappel à l’ordre devant le bavardage auquel on assiste trop souvent depuis la diffusion d’un discours analytique de masse qui ne s’est pas tari malgré la marée montante des critiques dont la psychanalyse dans son ensemble fait l’objet. Que reste-t-il aujourd’hui des propositions théoriques des auteurs du Désir et la perversion ? Rares sont sans doute ceux qui se souviennent de l’oscillation « métaphorico-métonymique » théorisée par G. Rosolato. Pourtant, l’oscillation entre l’identification au fétiche comme objet incarnant la toute-puissance et comme objet dévoilant le leurre éviterait d’englober dans la catégorie de « Psychose Manicao-Dépressive » nombre de sujets organisés avec des aménagements pervers. Et l’on peut parier que c’est à ce type de confusionnisme que les éditeurs de la collection Points Essai ont cherché à répondre en rééditant Le Désir et la perversion.
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LES DEUX MOUVEMENTS DE LA PERVERSIONNARCISSIQUE

Le psychanalyste distingue deux mouvements de la perversion narcissique : un premier mouvement qu’il appelle le soulèvement perversif,
« se produisant sous le coup de la détresse narcissique d’un moi sur le point de se perdre, ou de la détresse libidinale d’un sujet endeuillé d’avoir perdu ce qu’il aime » (p.13).

Le deuxième mouvement est celui où la perversion narcissique s’installe et s’organise, sous deux conditions personnelles (de fond) et situationnelle (de rencontre). Ces deux conditions, ces deux forces motrices du mouvement pervers sont
« un fort reliquat d’une séduction narcissique jamais vraiment estompée, mais au contraire toujours active, et une nécessité défensive puissante et spécifiquement organisée » (p.15).

Le désir de plaire s’associe à une défense spécifique qui, travaillant au service du narcissisme, refuse tout processus de deuil ou de conflit interne. Ce processus est soumis au déni et est projeté chez l’autre qui sera traité comme un ustensile et permettra au pervers narcissique de se survaloriser tout en dévalorisant l’autre.
« Dans une première approche, la perversion narcissique se caractérise, pour un individu, par le besoin et le plaisir prévalants de se faire valoir soi-même aux dépens d’autrui » (p.22).

Trois degrés de la perversion narcissique
Paul-Claude Racamier distingue trois degrés de perversions narcissiques : un premier degré qui est celui de tout le monde et qui offre un caractère universel ; un deuxième est ce qu’il a appelé le soulèvement perversif et consiste à se défendre
d' »une situation conflictuelle, douloureuse ou dépressivante » (p.25) ;
un troisième qui est celui des organisations perverses narcissiques.
À ces trois degrés correspondent trois destins.
« Le courant pervers universel est destiné à se fondre dans l’organisation plénière de la relation d’objet ; ce n’est qu’incidemment qu’il peut refaire surface. Les phases ou formations perverses, toutes proches encore de la psychose ou de la dépression qu’elles visent à éviter, sont sans doute celles où le mouvement pervers – même incomplètement achevé – s’aperçoit le mieux. Les organisations perverses sont évidemment, dans leur genre, les plus accomplies. rien d’étonnant, dès lors, à ce que l’on cherche à saisir la perversion dans son aboutissement » (p.26).

Deux versions de la perversion narcissique
Par ailleurs, le psychanalyste distingue deux versions de la perversion narcissique : une agressive,« plus proche de la paranoïa et de la psychose passionnelle » (p.26) qui s’observe principalement chez les femmes ;
une plus avantageuse,« proche du narcissisme glorieux » (p.26)qui se retrouve davantage chez les hommes.

L’origine de la perversion narcissique se trouve dans la mégalomanie infantile et primitive, la toute puissance de l’enfant et dans la séduction narcissique. Ce que le pervers garde de cette période infantile, c’est d’une part la conviction de remplacer le père auprès de la mère, autant en pensée qu’en fait, d’autre part la certitude de l’immunité conflictuelle grâce à la séduction narcissique.

« Le pervers narcissique est un narcissique en ce qu’il entend ne rien devoir à personne ; et c’est un pervers en ce qu’il entend faire activement payer par autrui le prix de l’enflure narcissique et de l’immunité conflictuelle auxquelles il prétend » (p.30).
Le pervers est dans l’incapacité de s’excuser ou de remercier, si certains le font c’est sans authenticité.
Le pervers n’a pas conscience du caractère pervers de ses conduites. Il agit par opportunisme : si sa proie devine sa véritable nature, il va décrocher. Il est très réaliste, mais la réalité de l’autre n’a pas d’importance à ses yeux. Il n’a pas de fantasmes, il se contente d’agir, il fait mais il pense peu. Ses techniques sont celles de l’intimidation et de la disqualification (imposition de dilemmes insolubles, les contraintes paradoxales

Ce qui caractérise le plus le pervers, c’est le fait que la jouissance narcissique perverse se déroule en deux temps :
« une disqualification première met le moi de l’autre dans l’embarras : premier de temps de la jouissance perverse. La proie trébuche. son embarras est alors complété par une disqualification subséquente, et c’est le deuxième temps de la jouissance. Il n’est pas de perversité sans ce dédoublement »
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PERVERSION GENERALISEE

1Cette expression de perversion généralisée ne veut pas dire que nous soyons tous pervers. Elle ne vient pas non plus de l’observation de l’époque, elle vient de la psychanalyse de Freud à Lacan. Elle ne dit rien des structures cliniques. Cette perversion désigne quelque chose concernant le régime de la jouissance, celle bien sûr des êtres parlants. C’est une notion qui désigne le fait que la jouissance dans tous les cas, à une exception près que j’évoquerai plus loin, se situe, comme le dit Lacan, du plus-de-jouir, qu’il écrit objet a, et même ne se parle pas autrement qu’en termes de plus-de-jouir. Cela, c’est la thèse générale.

2Plus cliniquement, l’idée de perversion généralisée est la traduction d’une autre formule que nous connaissons tous et qui est frappante, qui dit : il n’y a pas de rapport sexuel. Je crois que nous avons intérêt à mesurer la portée exacte de cette thèse. Elle a des implications, bien sûr, quant au couple mais pas seulement, elle a des implications quant à la pratique analytique, puis quant à la façon de lire notre époque. Je m’arrête à cette notion de perversion généralisée parce que je crois que c’est un préalable si l’on veut reprendre la question de ce que c’est qu’un sujet pervers. Tous les sujets ne sont pas pervers, c’est sûr.

3L’affirmation qu’il n’y a pas de rapport sexuel ne veut pas dire simplement que cela ne va pas entre les hommes et les femmes, comme on le répète souvent assez platement. Ce n’est pas une nouvelle. Si l’on en croit Lacan, qu’il n’y a pas de rapport sexuel serait le dire de Freud. Bien sûr, Freud n’a jamais produit cette formule, mais Lacan prétend qu’elle se déduit de tout ce que Freud a dit de l’inconscient et de son lien à la sexualité. Personnellement, je me permets de penser que Lacan, sur ce point, rend à César plus que ce qui est à César. Pour produire « Il n’y a pas de rapport sexuel », il fallait certaines élaborations que Freud n’a jamais faites. Notons bien d’abord que cette formule est assertive : il n’y a pas (de rapport sexuel). Elle affirme une absence, qui, par homophonie, évoque le « nia » du verbe nier. Et pourtant, le « Il n’y a pas de rapport sexuel » n’est pas une négation, c’est une affirmation qui dit qu’il n’y a rien à nier, justement, en fait de rapport, puisqu’il n’y en a pas.
4Qu’est-ce qui, du côté de Freud, permet d’avancer dans cette direction ? Que peut-on prendre chez Freud pour fonder un tel dire ? Dès le début, Freud a découvert le lien originaire de l’inconscient avec les pulsions partielles. Ce sont les Trois Essais où l’on trouve l’expression de l’enfant pervers polymorphe et la déclinaison de toutes les pulsions partielles que Freud met au compte de la perversion, connecte avec le terme de perversion. Or, les pulsions partielles (orale, anale, scopique, invocante, et même la pulsion d’agression, à supposer qu’elle existe) sont disjointes de toute référence à la différence homme/femme, masculin/féminin. Elles sont hors sexe. C’est un problème que Freud a rencontré, qu’il a traité (là, il faut regarder toutes les notes qu’il ajoute aux Trois Essais au fil des ans). Sa thèse est que la différence des sexes s’introduit dans l’inconscient, non pas à partir du petit pervers polymorphe, non pas à partir de la multiplicité des pulsions partielles, mais à partir de la découverte de la castration maternelle. C’est du côté de la mère ou du personnage qui est à cette place que la différence des sexes s’introduit, selon Freud, via la découverte de la présence-absence de l’organe qui n’est pas n’importe lequel, mais celui qui – je cite Lacan – « concentre en lui le plus intime de l’auto-érotisme », c’est-à-dire l’organe qui sert à la masturbation infantile du petit garçon. Problème, côté petite fille, que Freud a beaucoup souligné. Je laisse cela de côté pour l’instant, pour conclure simplement que, chez Freud, ce qu’il y a du sexe connecté à l’inconscient, il n’y a que les pulsions partielles et le phallus, l’objet phallique, dirais-je. Et le sens sexuel des symptômes, chez Freud, se réduit à ces deux composants-là : pulsions partielles et phallus. Autrement dit, dans le b.a-ba freudien, la jouissance du symptôme (car Freud a beaucoup insisté sur le fait que le symptôme est satisfaction), qu’il s’agisse du symptôme phobique, hystérique, obsessionnel, ou du symptôme pervers, la jouissance du symptôme est jouissance perverse au sens des pulsions partielles. C’est la jouissance des fantasmes pervers qui, chez tous les sujets, quelle que soit leur structure, fait retour dans le symptôme et s’y trouve être latente. Il est très clair – et je ne pense pas trahir Freud – que tout cela ne dit absolument rien de la jouissance propre à l’acte sexuel, celle qu’on a qualifiée à une époque, en psychanalyse, de génitale. Et, cependant, cette jouissance existe. Or, quand Lacan dit : pas de rapport sexuel, c’est de cela qu’il parle, de la jouissance qui se prend dans l’acte sexuel. Il ne s’agit pas de désir sexuel, qui existe, lui, il s’agit de la jouissance qui se prend dans le corps à corps sexuel. Il est frappant que Freud n’ait jamais écrit sur ce point. Il s’est intéressé, bien sûr, à l’acte sexuel mais seulement aux ratés de l’acte sexuel, aux symptômes sexuels, à savoir à la frigidité, à l’impuissance, au ravalement de la vie amoureuse (disjonction entre amour et désir), à l’insensibilité sexuelle masculine (cas rare, mais qui existe)… Pour ce qui est de la nature de l’acte, de ce qui conditionne la réussite de l’acte, il n’y a chez Freud pratiquement rien. Il n’y a aucune théorie du corps à corps sexuel. Bien sûr, avec lui, il faut toujours nuancer, on trouve quelques indications éparses, dont je veux rendre compte. J’en retiens deux.
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5D’abord, celle où Freud évoque la jouissance de l’acte comme le summum de la jouissance accessible aux êtres que nous sommes. On peut déduire de cette remarque, comme faite en passant, un peu autobiographique, que Freud ne rabat pas la jouissance de l’acte sur la jouissance masturbatoire de l’organe mâle – question qui se pose –, il ne rabat pas l’orgasme sur ce que Lacan appelle la brièveté de la jouissance autoérotique, quoique les deux, orgasme et masturbation, passent par le même organe.
Découvrir Cairn-Pro6La deuxième remarque, qui nuance un peu ce que j’ai dit précédemment, c’est le questionnement qu’on trouve chez Freud concernant le rôle des pulsions partielles dans la sexualité adulte. Sa thèse est que les pulsions partielles sont soit refoulées, soit elles s’intègrent dans la sexualité au niveau des plaisirs préliminaires. Il y a divers développements de Freud sur la fonction du baiser, par exemple. Des notations disant que le respect pour la femme est chez l’homme une grande limitation pour la jouissance sexuelle, on peut aussi déduire que d’autres pulsions partielles, moins anodines que la pulsion orale, pourraient entrer dans la jouissance de l’acte. Mais, enfin, ce sont des notations en passant, il n’y a rien de systématique et de consistant chez Freud, ni sur ce qui conditionne l’orgasme, ni sur la fonction de la jouissance orgastique. La jouissance orgastique est, avec le symptôme, la deuxième émergence de jouissance dans le champ du sujet, dit Lacan. Le champ du sujet n’est pas un champ de jouissance, mais il y a deux émergences : le symptôme, où émergent les pulsions partielles, et l’orgasme. Cette affirmation de Lacan se trouve dans le séminaire sur l’angoisse.

7Revenons maintenant à Lacan. Il faut souligner d’abord que la thèse « Il n’y a pas de rapport sexuel » n’exclut pas la réussite de l’acte. C’est même l’inverse. C’est la réussite de l’acte sexuel accompli et satisfaisant à sa façon qui fait le ratage du rapport sexuel. Cette thèse se trouve explicitement dans Télévision : « Ce ratage en quoi consiste la réussite de l’acte. » Si c’est l’acte, vous ratez le rapport, que vous espériez, bien sûr. Cette thèse se trouve déjà dans le séminaire sur l’angoisse. On y trouve de longs passages – et je n’y avais pas moi-même mis plus l’accent avant de retravailler ces questions – sur la relation sexuelle, sur l’acte et sur l’orgasme et sa fonction. Ces passages ont d’ailleurs quelque chose d’amusant quand on les compare aux thèses freudiennes, dans la mesure où Lacan insiste sur le fait que, pour l’homme, la castration se situe au niveau de l’acte, en raison même du fait, comme il dit, que l’organe mâle ne résiste pas longtemps, en tout cas jamais assez pour rejoindre l’autre. Il donne donc une fonction à la détumescence de l’organe masculin et, en regard de cet effet castration, castration de l’érection masculine, il note que du côté de la femme rien ne manque. Entendez : rien ne manque au niveau de l’acte. Le vase est-il vide ou est-il plein ? demande-t-il. Ce n’est pas la question et il évoque même une supériorité de la femme à ce niveau. C’est amusant comparé à Freud, qui plaçait la femme en tout sous le signe du négatif : pas d’organe, moins de jouissance masturbatoire, avec comme conséquence envie et puis, au terme, dépression. Et puis aussi moins de surmoi, de référence à la culture. Il y a un tableau chez Freud assez drôle, faut-il dire, si on n’en saisit pas vraiment les fondements.

8Lacan n’a pas du tout construit le même tableau. Non pas qu’il nie le manque du sujet féminin, mais, au niveau sexuel, il affirme la thèse inverse dès le séminaire sur l’angoisse, donc bien avant d’avoir introduit l’idée de l’autre jouissance. Déjà, dans ce séminaire, on voyait affirmer l’identité, pour Lacan, de la réussite de l’acte et du ratage du rapport.

9Ma thèse est que c’est justement parce que Lacan a essayé de questionner et d’élaborer quelque chose sur le couple de l’acte sexuel, non seulement sur les échecs de l’acte comme Freud l’a fait, mais sur la réussite de l’acte, qu’il a pu sortir la formule : « Il n’y a pas de rapport sexuel », avec ce qu’elle implique quant à la perversion généralisée.

10En fait, je crois que la thèse de la perversion généralisée, déjà impliquée dans le séminaire sur l’angoisse, se trouve explicite dans l’enseignement de Lacan à partir de 1964 et de ce grand texte, certes difficile, qu’est « Position de l’inconscient [2]
[2]
J. Lacan, « Position de l’inconscient », dans Écrits, Paris, Le… ». Parlant de la sexualité dans son rapport à l’inconscient, Lacan y répartit la sexualité de deux côtés : du côté de l’Autre et du côté du vivant (vivant voulant dire ici jouissance). Du côté de l’Autre, il est freudien, on y trouve les idéaux, les signifiants de l’Autre, les identifications, l’ordre et la norme (il emploie ces deux expressions). Au fond, c’est l’Autre de l’Œdipe freudien. Mais du côté du vivant, on est du côté du corps à corps, on n’est pas du côté du rapport du sujet à l’Autre. On est du côté du vivant, du corps à corps de l’acte. Et toute la question, pour nous psychanalystes, est de savoir où placer la castration. C’est là que Lacan, non seulement apporte quelque chose de plus, mais s’écarte de Freud. Il s’écarte, car pour Freud le complexe de castration est du même côté que l’Œdipe, côté de l’Autre, castration grosso modo à cause du Père et de la loi paternelle. Pour Lacan, au contraire – et ça commence en 1962-1963 dans le séminaire sur l’angoisse – la castration est sans le Père, qui a une autre fonction que la fonction castration. La castration commence du côté du vivant, comme castration réelle. Elle ne s’épuise pas dans la castration réelle, mais elle commence là. Cela se lit sans ambiguïté dans le texte de 1964, quand Lacan s’amuse – c’est un amusement très théorique, évidemment – à produire un nouveau mythe, qui n’est pas le mythe biblique de la faute originelle, qui n’est pas le mythe œdipien de la castration venant du Père, qui est ce qu’il appelle le mythe de la lamelle (il n’a pas eu la même fortune, évidemment, mais l’époque permettra peut-être de le lancer…). C’est un mythe sans le Père, et même sans l’Autre (grand A), ce lieu du langage. Le mythe de la lamelle mythifie les énigmes de la vie, de la vie biologique, du vivant en tant que la vie, comme on le constate – et Freud avait lui-même réfléchi là-dessus –, se reproduisant par les voies du sexe, est liée à la mort individuelle. C’est un problème de la vie, pas du symbolique, même si c’est par le symbolique que nous nous savons mortels. L’amibe n’est pas mortelle. L’être scissipare ne peut pas connaître la mort individuelle. Donc, ce mythe de la lamelle parle de la perte de vie qui tient à la sexuation au niveau du vivant, et il fonde le champ de la libido. Ce champ de la libido inclut l’animal. Le premier exemple qu’en donne Lacan est éthologique.

11Nous sommes là, évidemment, dans un registre qui est bien différent de la dialectique du désir, registre par lequel, pendant un temps, Lacan a essayé de rendre compte du couple homme/femme, dans les années 1958, par exemple dans ses « Propos directifs pour un Congrès sur la sexualité féminine » et dans « Signification du phallus ». Nous sommes ici au-delà. Il s’agit de la libido comme quête de jouissance. Je dis quête, pour ne pas dire volonté, terme qui nous ramènerait Kant, Sade et beaucoup de choses autour. La libido, comme quête de jouissance dans les pulsions partielles. Or, voilà la thèse quant à l’acte sexuel, qui se connecte à ces élaborations. Je cite Lacan : « Il n’y a d’accès à l’autre du sexe opposé que par la voie des pulsions partielles, où le sujet cherche un objet qui lui remplace cette perte de vie qui est la sienne d’être sexué. » Peut-être faut-il préciser quelque chose sur la définition de pulsion partielle. Quelques fois, on utilise le terme de pulsion d’une manière un peu floue. Pulsion, c’est ce qui pousse. Il faut bien tenir compte de ce que la pulsion n’est pas chez Lacan exactement ce qu’elle est chez Freud. Dans sa structure, selon Lacan, la pulsion est un effet du langage. C’est l’effet du langage sur le vivant qui produit les pulsions, plus précisément, c’est le discours de la demande articulée en langage qui transforme les besoins naturels en pulsions, pulsions partielles, orale, anale, etc. Chez Lacan, la pulsion n’est déjà plus de la nature, pour autant que le terme de nature ait un sens pour l’être parlant. La pulsion est déjà un effet de langage. Il y a deux effets de langage : il y a le sujet comme manque et la pulsion comme transformation qui va dans le sens du morcellement et de la pluralisation. Plusieurs pulsions partielles morcelées et limitées. Comme activité – ça, c’est l’origine de la pulsion –, la pulsion est à double face, dirais-je. À la fois elle compense la perte en cherchant un objet de jouissance, et elle restaure la perte. Lacan le dit textuellement : « La pulsion tourne autour de ses objets pour en eux reprendre et en lui (le sujet) restaurer sa perte originelle. »

12Je crois que ce point est capital quand on parle de l’actualité. Il veut dire que l’exercice de pulsions partielles inclut un effet de castration, de limitation de jouissance, disons une strate primaire de l’effet de castration, qui ne doit rien à la loi, au Père, qui doit seulement quelque chose à la perte de vie originaire. Cette thèse est présente dès le séminaire sur l’angoisse. Entre autres choses, celui-ci concerne l’inclusion de la castration dans les pulsions partielles.

13Que conclure donc pour ce thème ? S’il n’y a d’accès que par les pulsions partielles au partenaire de l’acte sexuel, on est bien obligé de conclure que la jouissance de l’acte sexuel est la même que celle du symptôme, c’est la jouissance perverse, avec ce qu’elle connote de fragmentation et d’insuffisance. Le champ clos de la relation sexuelle ne fait pas exception au champ du symptôme. C’est d’ailleurs ce qui fait que Lacan en est venu à parler de la relation sexuelle comme une relation de symptôme. Il est logique. En effet, si la jouissance la plus normée, la plus normale, hétéro, celle du Père, n’est quand même rien d’autre que celle qui passe par l’organe et par les pulsions partielles, alors on peut dire le père « père-vers », version père de la perversion. C’est pourquoi Lacan écrit père-version avec un trait d’union. Ça ne veut pas dire que le père est un sujet cliniquement pervers, ça veut dire que sa jouissance, en tant que sujet père (pas en tant que signifiant père, mais sujet père) ne sort pas du champ de la perversion généralisée. Pourquoi qualifier cette jouissance-là pour tous, partout, de perverse ? On aurait pu en conclure qu’il faut la qualifier de normale. Je remarque d’abord que Lacan, lui-même, a mis un moment une petite distance avec cette qualification de perverse. Il dit « la jouissance tenue perverse », c’est une évaluation qui la précède. Je crois que ce qualificatif-là est la marque de l’origine du terme. Au début du siècle, par exemple chez Krafft-Ebing c’est très clair, on appelle perversion, jouissance perverse, toutes les conduites de jouissance et toutes les jouissances prises au corps qui ne passent pas par l’acte hétérosexuel. Freud reprend cette conception dans les Trois Essais. Il parle des anomalies de la jouissance quant à la zone, quant à l’objet, c’est la thèse de l’époque. Il y a là, je crois, une marque d’origine. Mais il y a plus qu’une marque d’origine. Il doit y avoir dans ce terme qui non seulement se maintient mais prolifère, dans la psychanalyse et en dehors, il doit y avoir peut-être – c’est mon hypothèse – l’index de l’insatisfaction de la jouissance perverse justement. De l’appeler perverse, on laisse implicite, latent, le rêve d’une jouissance qui serait autre, d’une qui ne serait pas celle-là, qui serait une jouissance de fusion, de rencontre – pour le dire en un mot –, de rapport.

14Alors, où est la jouissance perverse ? Partout. Pas seulement dans le rapport sexuel, mais dans le lien social de tous les discours. Elle est en jeu dans ce qu’on appelle la réalité, dans le lien social. En effet, quelle est la satisfaction qui soutient les divers liens sociaux ? C’est toujours le mariage – si je puis employer ce terme – du phallus et du plus-de-jouir, du phallus avec son effet moins et son effet plus, jouissance phallique. Lacan a donné de la jouissance phallique une définition que je trouve très satisfaisante, il dit que la jouissance phallique, c’est la jouissance du pouvoir, dans tous les champs, qu’il s’agisse de la politique, de l’art, de la production, mais aussi du sexe. C’est le pouvoir au sens de la puissance. Quant au plus-de-jouir, évidemment, dans notre monde, cette jouissance du pouvoir se conjugue à la jouissance de l’avoir – le plus indique l’avoir – des objets fétichisés de la consommation. Donc, la perversion généralisée, non seulement inclut l’acte sexuel, mais elle s’étend sur tout le champ du discours. Et une des choses qui se passent aujourd’hui, c’est que, justement, ce caractère de la jouissance est à ciel ouvert. Il n’est plus recouvert, comme il le fut pendant des siècles, par les semblants de la tradition. Ça ne veut pas dire que c’était différent avant au niveau de la jouissance, mais le régime de la jouissance était recouvert. Effectivement, il y a eu un changement côté Autre qui fait que ce régime de la jouissance n’est plus recouvert. D’ailleurs, c’est frappant, et je l’avais noté, il y a longtemps. Essayez de présenter les Trois Essais dans une classe de philo, on vous dira : « Et alors ? » Et pourtant quand c’est sorti, cela avait fait un scandale, un frémissement dans la civilisation ! Tout le monde sait, ça n’étonne plus personne. Vous voulez parler de jouissance orale, anale… eh bien oui, quoi ? La découverte de Freud est passée dans la civilisation, c’est une de ses responsabilités, et cela produit des choses diverses. Elle a pu apparaître dans les années 1970 comme une libération, quelque chose s’est libéré, découvert. Même si on voit que les conséquences ne sont pas forcément joyeuses, on voit, par exemple, que cela entraîne une banalisation de l’acte sexuel. Elle est logique, cette banalisation. Une jouissance perverse en vaut une autre, peut-être, au niveau de la seule jouissance. Et puis, la levée du secret… Il y a beaucoup de phénomènes qui pourraient se rapporter au fait que la jouissance perverse est maintenant à ciel ouvert. Je ne sais pas si ça veut dire qu’il y a un changement du sujet, mais il est sûr qu’il y a un changement dans ce que l’on sait du régime de la jouissance comme perversion généralisée.
Il n’y a donc pas d’exception à la perversion généralisée sauf, peut-être, la jouissance autre qui, elle, ne passe pas par l’objet a et par l’articulation du S1 phallique. Si elle existe, elle est forclose de cet ordre-là. C’est pour cela qu’elle fait un grand mystère, puisqu’on atteint à rien, sinon par la voie du discours et du langage. Alors, elle peut s’éprouver, mais quant à passer dans les articulations, c’est une autre affaire. Je reviens au non-rapport sexuel, c’est-à-dire à chaque réussite de l’acte, où se vérifie le non-rapport sexuel. L’acte n’accède pas à l’Autre, spécialement du côté de l’homme. Il y a la jouissance phallique, qui est la jouissance solitaire, une, et puis il y a le plus-de-jouir. Que le non-rapport s’affirme par la réussite de l’acte, et non par son échec, pourrait jeter une certaine lumière, permettre une interprétation de certains échecs de l’acte sexuel, parce qu’on pourrait penser que bien des échecs de l’acte, voire son évitement, cherchent à éviter la rencontre avec la solitude de la jouissance. J’avais évoqué précédemment des articles venant du Japon qui parlaient de ce qu’ils appelaient les « sexless », sans activité sexuelle. Il s’agit de couples qui vivent délibérément sans relation sexuelle, tranquilles. Et évidemment, on peut interpréter en partie ces types de conduite, aussi bien les courts-circuits de l’acte qui ne vont pas jusqu’à sa réussite que l’évitement de l’acte, comme des stratégies subjectives pour ne pas se confronter à la butée réelle, à savoir que quand l’acte réussit, chacun reste tout seul avec sa jouissance. On peut donc situer ce qui fait couple entre homme et femme et ce qui ne fait pas couple. Au niveau du désir, il y a un couple. Mais ce que la psychanalyse vérifie régulièrement quand même depuis Freud, c’est que le couple qui soutient le désir est le couple que le sujet S barré forme avec l’objet plus-de-jouir de son fantasme. Donc, ce n’est pas un couple avec son partenaire, c’est un couple avec l’objet de son fantasme, qui est bien utile dans les rapports homme/femme, d’ailleurs. Là, il y a un couple. Il y a aussi un couple, si l’on en croit le Lacan du séminaire Encore, il y a un couple de l’amour. De l’amour défini comme rapport de sujet à sujet. Un rapport de sujet à sujet n’a pas grand-chose à faire avec la jouissance, mais énormément au niveau des liens sociaux. Donc, ces deux rapports-là, rapport de sujet à sujet dans l’amour, rapport du sujet à l’objet de son fantasme dans le désir, sont des rapports qui soutiennent le lien social, que nous n’avons pas à regarder de haut. Mais au niveau de ce qui est la jouissance proprement dite, ça ne fait pas rapport, il n’y a pas de rencontre.
Je veux tout de même apporter deux nuances. J’ai dit perversion généralisée partout, même au niveau de la relation sexuelle. Cela ne veut pas dire que l’adulte hétéro reste un petit pervers polymorphe. Ce qui caractérise le petit pervers polymorphe, c’est la juxtaposition et la dispersion des pulsions partielles, dans les limites du corps. L’accès à l’autre de l’autre sexe par les pulsions partielles suppose – c’est une autre thèse capitale de Lacan – qu’elles aient été constituées en ensemble. Ce n’est pas par une pulsion qu’on accède au partenaire sexuel, c’est par la constitution des pulsions partielles en ensemble, leur coprésence en quelque sorte. La coprésence des quatre sur le corps conditionne l’accès et cette coprésence suppose précisément la castration. C’est par le phallus que les pulsions partielles se constituent en coprésence. Ce qui fait que dire perversion généralisée même au niveau de l’acte, ça ne veut pas dire que l’érotisme adulte soit l’érotisme infantile. Et cela ne veut pas dire non plus – c’est la deuxième nuance – que la satisfaction de l’orgasme soit la même que celle de la masturbation solitaire. Si on disait cela, on serait à côté de la plaque, parce que, pour beaucoup de sujets, la différence est nette, même s’il y a quelques sujets hommes qui témoignent de ce qu’en matière de jouissance sexuelle il n’y a rien de supérieur pour eux à la jouissance masturbatoire. Ce n’est cependant pas la règle. Bien sûr, la jouissance de l’orgasme n’est pas équivalente à celle de la masturbation, mais je crois que c’est parce que dans l’orgasme s’ajoute au pur registre de la jouissance ce que j’appellerais des effets sujet – il y a une satisfaction propre de l’orgasme dans le sujet –, des effets sujet de la jouissance orgastique. Et puis s’ajoute aussi la satisfaction propre du désir, qui n’est pas la jouissance, mais qui est quand même liée à elle.
Alors, toute la question pour nous est de savoir quelle est la portée exacte de cette thèse que je crois fondée : quelles sont les répercussions du statut de la jouissance perverse pour tous sur la subjectivité ? Freud, en produisant la notion de psychonévroses de défense, était bien dans ce registre, il a posé une défense, une défense contre la jouissance au fondement des psychoses comme des névroses. Mais Freud pensait cette défense comme corrélée à la répression sociale, quoiqu’il ait commencé à avoir des petits doutes à la fin avec le Malaise dans la civilisation. Il a pensé que la répression sociale était ce qui présidait à la limitation de jouissance. La question est vraiment d’importance. Freud a fini par en douter et je crois que Lacan n’en doutait plus, la thèse est vraiment erronée. La limitation de jouissance n’a pas besoin, au fond, de l’Autre de la société pour exister, elle vient de l’effet de langage sur le vivant. L’Autre sert plutôt à réguler l’effet castration et morcellement produit par le langage. En ce sens, ce n’est pas de lui que vient la castration, c’est de lui que vient, quand c’est possible, l’institution d’un ordre vivable d’une jouissance qui n’est pas satisfaisante par nature d’effet de langage. Voilà pourquoi Lacan peut dire, un peu pour rire, mais en soutenant une thèse essentielle, que si la répression n’existait pas, il faudrait l’inventer. Il disait cela en 1970, aujourd’hui tout le monde commence à penser qu’il faut inventer la répression. On manque de lois, on manque de règles, et on se demande où est la bonne répression d’antan, la répression familiale, les professeurs qui pouvaient donner des baffes, vous mettre au piquet, et toutes ces choses. Passons. Il me semble que la question doit être inversée pour être pertinente. Dans un régime de perversion généralisée à ciel ouvert, quels sont les effets subjectifs ? J’avais écrit un article intitulé « Les commandements de la jouissance ». La jouissance ne commande pas puisqu’elle ne parle pas mais ce titre visait à dire que les modalités de jouissance ont des effets sur les sujets.
J’ajouterai qu’un des grands effets côté sujet, c’est que le non-rapport sexuel se répercute au niveau du non-rapport de parole. C’est moins passé dans la doxa, je dois dire, et pourtant c’est aussi important. Le non-rapport sexuel se répercute au niveau du rapport de parole pour mettre celui-ci en question. Évidemment, c’est très questionnant pour la psychanalyse qui opère par la parole. En effet, la jouissance tenue perverse, la jouissance des pulsions partielles, qu’on trouve chez le petit pervers polymorphe, dans l’acte sexuel, dans toute la réalité du discours et, notamment, du discours capitaliste, cette jouissance tenue perverse, produite par le langage, ne se tient pas tranquille et immobile dans son coin. J’ai essayé de dire où elle était, mais le problème c’est qu’elle circule, et elle dérive dans la métonymie de la parole, sinon l’interprétation serait impossible, l’interprétation qui consiste toujours à cibler la jouissance qui habite une parole. Elle dérive dans la métonymie de la parole, spécialement de la parole de séduction, et – scandale ! – même dans la parole d’amour. D’où la phrase : « Parler d’amour est en soi une jouissance. » Si vous croyez qu’on parle de vous quand on vous parle d’amour, attention ! Autrement dit, le « pas de rapport sexuel » se répercute au niveau d’un tas de dialogues. Et même à l’intérieur de chaque sexe, dit Lacan. Pas seulement entre les hommes et les femmes, mais pour les femmes entre elles et les hommes entre eux il y a aussi des inconvénients. Pour le reformuler encore, le partenaire de la parole, le vrai partenaire n’est pas celui à qui elle s’adresse, c’est la jouissance qu’elle véhicule dans la métonymie des signifiants. Elle fait signe, mais pas à quelqu’un, elle fait signe de la jouissance perverse, jouissance du bla-bla, dit Lacan gentiment à la fin, « la jouissance du bla-bla ne connaît pas le partenaire ». La jouissance du bla-bla, au fond, est comme la jouissance de l’orgasme mutatis mutandis.
Le non-rapport de parole est-il aujourd’hui autant à ciel ouvert que le non-rapport sexuel ? Je ne sais pas, mais, en tout cas, il y a une intuition du non-rapport de parole aujourd’hui dans notre civilisation et nous pouvons noter que les deux thèmes qui font la clameur contemporaine sont la solitude et la précarité du couple. Je laisse de côté la précarité du travail qui existe aussi, mais n’est pas l’objet direct de la psychanalyse. La psychanalyse n’est pas un discours qui se met à l’unisson avec cette clameur, sinon elle ne sert à rien. En tout cas, je crois que le non-rapport de parole est en train, lui aussi, de monter à la surface. Je cite souvent, parce que je trouve cela drôle, ce topo assez commun des couples où la femme demande à l’homme de parler. « Parle… », il ne suffit pas de désirer, il ne suffit pas de faire l’acte, il faut parler, il faut des entours de parole. Et lui répond : « Que veux-tu que je te dise ? » J’ai essayé de dire ce qu’elle voudrait qu’il lui dise, dans mon livre sur les femmes [3]
[3]
C. Soler, Ce que Lacan disait des femmes, Paris, Éd. du Champs…. Elles aimeraient qu’ils leur parlent et je les comprends fort bien, seulement c’est peut-être illusoire car, s’ils se mettaient à parler vraiment, il n’est pas sûr que cela arrangerait les affaires du couple, peut-être le couple irait-il plus vite à son terme, je ne sais pas si ce serait un bénéfice.
De là s’ouvrent bien des questions pour la psychanalyse et pour la clinique. D’abord, comment repenser la validité et le produit de l’association libre freudienne, dans cette histoire de non-rapport de parole ? L’association libre freudienne a été inventée dans un temps de répression sexuelle où régnait l’interdit de penser et dire un certain nombre de choses sur le sexe, et où la jouissance était refoulée. L’association libre freudienne était une invite à laisser venir à l’articulation, à la parole ce qui ne pouvait pas se dire dans l’autre discours. Aujourd’hui, tout ce que l’association libre était censée convoquer, en levant les censures, se trouve partout. La jouissance n’est plus censurée, on en parle partout, à la télévision, dans les journaux, dans les films, ça s’étale, ça dégouline. Et l’on est ainsi obligé de repenser la fonction de l’association libre – je ne prétends pas qu’il faut la supprimer, mais on n’attend pas de l’association libre qu’elle apprenne au patient qu’il jouit de ceci, de cela, et comment et dans quelle position, il va le dire ou peut-être ne va pas le dire, tant il ne va pas considérer que cela fait problème.
L’autre question est de savoir ce que devient la névrose, qui est une structure de défense, quand les discours n’entretiennent plus la défense. Il n’est pas sûr que la psychose soit pour sa part une structure de défense. Pour la perversion, c’est une question que je laisse en suspens et sur laquelle je travaille, la défense est présente dans la perversion, je crois. En tout cas, que devient la défense du sujet à l’endroit de la jouissance, comment se transforme- t-elle dans un discours qui n’est pas un discours répressif de la jouissance ? Je m’oriente vers l’idée suivante sur laquelle je vais conclure : la défense n’a pas besoin de la répression sociale. Je ne vais pas dans la direction de dire que les sujets d’aujourd’hui ne sont pas défendus, ne se défendent pas contre la jouissance, ils se défendent. Il y a une défense qui est inéliminable et qui tient au sujet. D’ailleurs, Lacan disait que le sujet est une défense en lui-même, presque naturelle, dans la mesure où, comme je l’ai dit, la jouissance des pulsions partielles, perverse, est une jouissance qui inclut un effet de castration. Et cet effet de castration inclus dans la jouissance a lui-même un double effet, et, selon les sujets, c’est l’un ou l’autre pan qui est accentué. Il peut fonctionner comme un pousse-à-la-jouissance, toujours plus, additionner pour compenser l’insuffisance de la jouissance, c’est-à-dire escalade, montée aux extrêmes, chercher des pratiques plus limites qui permettraient de donner un peu plus de sel à la jouissance que la jouissance perverse polymorphe, toujours un peu morose, voilà l’effet escalade. De l’autre côté, ce peut être l’effet évitement. On rencontre les deux, je crois, dans notre époque actuelle. Sans vouloir généraliser, on pourrait peut-être deviner des courbes biographiques. On croit parfois percevoir dans la courbe biographique de sujets d’un certain âge des phases où l’effet pousse- à-la-jouissance, qui a flambé pendant les belles années des premiers espoirs, des premières illusions, retombe. Expérience faite, ce n’est pas que la sagesse vienne, mais c’est qu’on passe sur l’autre versant : à quoi bon s’évertuer pour une jouissance aussi insatisfaisante ! Il y a les deux. D’un côté, le surmoi en tant qu’il est corrélé au devoir est en train de péricliter, c’est sûr, mais le premier surmoi, le vrai, celui que Melanie Klein a trouvé, le surmoi qui pousse à la jouissance, celui-là flambe actuellement, c’est le surmoi moderne.
Toute la question, dans la civilisation et pour chaque sujet en psychanalyse, est de savoir quelles sont les défenses appropriées que l’on peut construire.
PSYCHOLOGUE CLINICIEN - ANALYSTE
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